Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
son opposé.
Tel est, en raccourci [325], l’univers d’Aristote : tous les détails y sont commandés par l’ensemble. Le cadre de la physique des p.228 choses sublunaires est ainsi déterminé ; elle est l’étude des actions et passions réciproques qui ont lieu soit entre les éléments, soit entre des corps déjà formés et qui produisent tous les mélanges et altérations, grâce auxquels de nouveaux corps pourront naître, de nouvelles formes substantielles s’insérer dans la matière. Et il ne faut pas oublier que tous ces changements, bien qu’ils aient leurs conditions matérielles dans les forces élémentaires, ont leur cause finale, leur cause véritable dans la forme vers laquelle ils sont orientés ; le remède agit par une suite d’altérations de la substance vivante ; mais la cause véritable de ces altérations, c’est la santé. Il faut se garder de croire que la production d’un corps nouveau est due à ces combinaisons ou altérations qui n’en sont que les conditions.
Encore ces conditions peuvent-elles être étudiées en elles-mêmes. Un corps ne subit l’influence d’une force que parce qu’il y a en lui de la matière, c’est-à-dire au fond la possibilité d’un changement ; ainsi lorsque l’air, sous l’influence du froid, se change en eau, ce n’est pas la chaleur de l’air qui a pâti, puisque la chaleur est une forme ; sans matière, le feu serait impossible ; c’est en réalité sa matière [326]. On appelle matière première cette puissance de changement entièrement indéterminée qui est impliquée dans la transmutation des éléments ; au contraire la matière seconde, par exemple l’airain d’une statue, est déterminée en elle-même, bien qu’elle soit indéterminée relativement au changement qu’elle est encore capable de subir [327]. C’est donc grâce à la matière que l’agent peut agir en s’assimilant le patient, par exemple le feu en échauffant ; pour qu’il y ait action, il faut donc que l’agent rencontre un patient qui actuellement est différent de lui, mais qui lui est semblable en puissance. Un cas spécialement important, c’est le mélange, qui se forme par suite d’actions et de passions réciproques entre p.229 deux corps ; le mélange n’est pas une juxtaposition, comme le prétendent les atomistes, mais une union réelle où toute partie, si petite qu’elle soit, est homogène à l’ensemble : encore ici, nous trouvons cette même absolue confiance en la sensation brute et non analysée, qui est caractéristique de l’esprit d’Aristote. Les différences du mélange dépendent à la fois des doses et de la nature des corps qui y entrent ; le corps mélangé peut disparaître s’il est en trop petite quantité, comme une goutte d’eau dans la mer, ou s’il est beaucoup plus passif que l’autre ; par exemple dans un alliage d’étain et d’airain, l’étain disparaît ne laissant plus qu’une couleur [328].
Une première application de cette physique est dans les Météores où Aristote a cherché à déterminer les diverses actions qui produisaient cet ensemble de phénomènes irréguliers, voie lactée, comètes, apparitions ignées, qui se produisent au-dessous de la sphère de la lune, et aussi les états généraux de l’atmosphère, vents, tremblements de terre, foudre, tempête. Le IVe et dernier livre est consacré à l’étude de ce que l’on pourrait appeler les divers états de la matière sous l’influence des deux causes actives par excellence ; du chaud et du froid ; les phénomènes de la cuisson et de la congélation sont spécialement signalés ainsi que les états dus au mélange, comme, le mou, le facile à courber, le fragile, le cassable, etc.
Toutes ces études sont orientées vers le dernier chapitre qui a pour objet l’étude des mélanges qui forment les diverses parties de l’être vivant, os, muscle, etc.
XI. — L’ÊTRE VIVANT : L’ÂME
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Les éléments n’existent qu’en vue de la formation de ces tissus vivants ; ces tissus n’existent qu’en vue de la formation d’organes tels que l’œil ou le bras ; ces organes eux-mêmes p.230 n’existent qu’en vue d’accomplir certaines fonctions très compliquées, telles que la vue pour les yeux, ou le mouvement pour les bras. Les fonctions vitales en exercice sont donc une des fins principales pour lesquelles la nature agit et opère toutes les combinaisons et mélanges qui rendront
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