Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
non par Aristote qui était métèque, mais par Théophraste à qui il légua ses biens dans un testament que l’on possède encore. L’école devient alors une association cultuelle, consacrée aux Muses, ayant comme propriété commune et inaliénable les maisons et jardins légués par Aristote, composée de membres plus âgés qui élisaient le chef d’école, et de membres plus jeunes chargés d’organiser à chaque nouvelle lune les repas communs où l’on invitait les personnes étrangères à l’école. Le travail philosophique est donc collectif. La vie de l’école ne fut d’ailleurs pas facile ; soupçonnée de macédonisme et peu sympathique aux Athéniens, elle fut plusieurs fois menacée ; lorsque le macédonien Démétrius de Phalère dut céder Athènes en 301, commencèrent contre les philomacédoniens des représailles dirigées par Démocharès, le neveu de Démosthènes ; elles atteignirent d’abord les péripatéticiens, et Théophraste dut quitter Athènes. A partir de ce moment, les liens entre le péripatétisme et Athènes se font plus lâches. Les disciples d’Aristote vont volontiers travailler dans la ville, dont le nom commence à faire pâlir l’éclat d’Athènes : dans Alexandrie [365].
p.256 Cette affinité des péripatéticiens avec la ville de l’érudition est bien naturelle. C’est en effet dans le sens des investigations expérimentales que se dirigent les disciples d’Aristote : botanistes, zoologistes, historiens, ils obéissent à la puissante impulsion donnée par le maître vers les recherches spéciales. C’est Eudème, Aristoxène de Tarente et surtout Théophraste d’Érèse (372-288), dont le fragment de Métaphysique commence par l’affirmation d’un contact intime et d’une sorte de communauté entre les réalités intelligibles et les objets de la physique [366] ; les exagérations du finalisme d’Aristote, auquel il oppose l’expérience, paraissent aussi l’avoir frappé (320, 12 sq.). Ses collections botaniques, qui sont conservées ; ses nombreuses monographies physiques qui se rapportent aux signes des tempêtes, au vent, à l’eau et à toutes sortes de faits géologiques [367] ; ses célèbres Caractères , qui marquent bien la tendance de la morale péripatéticienne vers l’observation de détail ; son histoire des Opinions physiques qui est devenue une des sources principales des doxographes grecs ; enfin ses recherches historiques de détail sur les prytanes d’Érèse, tout cela marque bien l’orientation de l’école. Il ne s’occupe de religion qu’à la manière d’un historien et d’un anthropologiste ; peu fixe sur la nature de la divinité qu’il voit tantôt dans un Esprit, tantôt dans le ciel ou les étoiles, il abonde en détails positifs, par exemple dans la critique qu’il fait des sacrifices sanglants dont il montre le caractère tardif et qu’il repousse à cause de la parenté entre hommes et animaux, non pas postulée en dogme, mais établie par l’observation positive des germes de raison chez les animaux [368]. On voit les mêmes tendances chez Cléarque de Soles qui rassemble, dans un but purement historique, les superstitions sur la vie future [369].
p.257 L’aristotélisme qui fut, bien des siècles après, le dogmatisme le plus figé qui soit, était alors la plus libérale des écoles. On voit Cléarque de Soles abandonner en astronomie la théorie des sphères pour celle des épicycles ; et surtout les principes fondamentaux de la physique d’Aristote [370] sont atteints par la doctrine de Straton de Lampsaque (mort vers 270), qui fut, à la cour d’Égypte, de 300 à 294, le précepteur du deuxième Ptolémée ; dans une formule exactement inverse de celle d’Aristote, il enseigne que le hasard précède la nature ; et de fait, laissant de côté la doctrine des lieux naturels et de la cause finale, il n’admet comme seule force active que la pesanteur : il observe d’ailleurs avec un soin nouveau le mouvement de chute et démontre son accélération, en faisant voir que la force avec laquelle le grave rencontre, un obstacle croît avec l’espace parcouru. De la seule pesanteur aussi, il déduit la place relative des quatre éléments de bas en haut ; l’élément inférieur, comprimé, fait sortir de lui, comme une éponge qu’on presse, l’élément supérieur, qui se loge ainsi à sa surface ; il n’y a bien entendu pas d’éther, et le ciel est de nature
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