Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
l’arrivée au pouvoir des riches et des nobles ; elle tend vers la monarchie, à mesure que la richesse est plus concentrée. La diversité des gouvernements a donc une de ses conditions essentielles dans l’équilibre des fortunes. De grandes différences de fortune engendrent nécessairement l’oligarchie. Le but final de la cité, c’est d’assurer le bonheur et la vertu des citoyens par la domination des lois ; or cette domination est favorisée par certaines conditions économiques, par le développement des classes moyennes : « Lorsque la classe des laboureurs et de ceux qui possèdent une fortune moyenne est maîtresse de la cité, c’est le règne de la loi ; ne pouvant vivre qu’en travaillant et n’ayant pas de loisir, ils obéissent à la loi et ne tiennent que les assemblées nécessaires ». Y a-t-il au contraire beaucoup de citoyens oisifs ? la démocratie se transforme en démagogie, et « les votes remplacent la loi ». On voit la méthode : il s’agit non point de fonder une cité mais de trouver, dans les conditions effectivement et historiquement réalisées, les moyens infiniment divers et changeants selon les circonstances, d’assurer le bien social ; pour trouver la meilleure constitution dans un cas donné, il faut même aller jusqu’aux conditions géographiques : « L’acropole est oligarchique et monarchique, la plaine est démocratique (VII, 10). » Conditions si nombreuses, et dont certaines sont si sujettes au changement que la constitution ne peut rester stable ; le désir d’égaler ou de primer les autres, le désir de s’enrichir et l’ambition, l’accroissement des p.254 fortunes sont les motifs principaux qui produisent les révolutions (V, 2).
Parmi ces conditions, il en est un grand nombre qui viennent de la nature et dont l’homme n’est pas maître ; mais il en est aussi qui viennent de la réflexion et de la volonté, et de celles-ci l’homme est maître au moyen de l’éducation, qui doit préparer chez l’enfant la vertu civique. L’éducation qui fait, les bons citoyens est celle qui se garde de développer une fonction au détriment des autres et qui sait maintenir la hiérarchie de ces fonctions et leur valeur propre : dangereuse par exemple, l’éducation guerrière de Sparte qui fait de la guerre la fin de la cité tandis que la guerre et le travail ne sont faits que pour la paix et le loisir ; dangereux, l’abus de la gymnastique qui, chez les Thébains, fait de tout citoyen un athlète, l’abus de la musique qui fait les virtuoses. Il faut en réalité développer le corps pour l’âme, la partie inférieure de l’âme, les passions, pour la partie supérieure, la volonté, et enfin la partie supérieure en vue de la raison contemplative et de la raison théorique (VII, 12).
Le développement de la contemplation intellectuelle est donc le but final et unique dont tout le reste n’est que la condition et la conséquence ; dans l’âme humaine, dans la société comme dans l’univers, toutes choses tendent vers la pensée. La philosophie est peut-être moins l’étude de la pensée elle-même, qui dépasse l’homme, que celle de cette tendance, avec les conditions prodigieusement nombreuses et variées que nous enseigne l’expérience. L’univers mental d’Aristote est un tableau des divers degrés d’approximation de ces conditions [364]. Au plus haut degré, les sciences théoriques, philosophie première, physique et mathématiques, étudient les choses qui ne peuvent être autrement qu’elles ne sont et dont la perfection consiste dans leur nécessité même ; plus bas viennent les sciences pratiques et poétiques, c’est-à-dire celles dont les objets peuvent p.255 être autrement qu’ils ne sont et dépendent à la fois de conditions naturelles fournies par une heureuse chance et de l’effort humain ; les premières, morale et politique, aboutissent à des actions ; les secondes, techniques de tout genre, à des produits fabriqués par l’homme ; mais cette classification n’empêche nullement la parfaite continuité qui fait que l’action humaine est, comme le théorème mathématique, le résultat d’un syllogisme, et que la rhétorique et la poésie n’ont d’action, sur les passions que grâce à la pensée rationnelle qui les inspire encore.
XIV. — LE PÉRIPATÉTISME APRÈS ARISTOTE
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L’école péripatéticienne, comme association légale reconnue par la cité, a été fondée
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