Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
comités, ou les dissoudre. Ce projet de clémence, d’humanité, et de gouvernement légal fut conçu par Danton, Philipeaux, Camille Desmoulins, Fabre d’Églantine, Lacroix, le général Westermann, et tous les amis de Danton. Ils voulaient, avant tout, que la république s’assurât du champ de bataille ; mais, après avoir vaincu, ils voulaient qu’on la pacifiât.
Ce parti devenu modéré, s’était dessaisi du pouvoir : il avait abandonné le gouvernement, ou s’en était laissé exclure par le parti de Robespierre. D’ailleurs, depuis le 31 mai, la conduite de Danton paraissait équivoque aux patriotes exaltés. Il avait agi mollement dans cette journée, et plus tard il avait désapprouvé la condamnation des vingt-deux. On commençait à lui reprocher les désordres de sa vie, ses passions vénales, ses allées d’un parti à l’autre, son intempestive modération. Pour conjurer l’orage, il s’était retiré à Arcis-sur-Aube son pays, et là, il paraissait tout oublier dans le repos. Pendant son absence la faction d’Hébert avait fait des progrès immenses, et les amis de Danton l’appelèrent en toute hâte. Il revint au commencement de frimaire (décembre). Aussitôt Philipeaux dénonça la manière dont la guerre de la Vendée était conduite ; le général Westermann, qui avait remporté la victoire de Châtillon et du Mans, et qui venait d’être destitué par le comité de salut public, soutint Philipeaux, et Camille Desmoulins publia les premières livraisons de son Vieux cordelier. Ce brillant et fougueux jeune homme avait suivi tous les mouvements de la révolution, depuis le 14 juillet jusqu’au 31 mai, approuvant toutes ses exagérations et toutes ses mesures. Son âme était pourtant douce et tendre, quoique ses opinions eussent été violentes, et ses plaisanteries souvent cruelles. Il avait applaudi au régime révolutionnaire, parce qu’il le croyait indispensable pour fonder la république ; il avait coopéré à la ruine de la Gironde, parce qu’il redoutait les dissensions de la république. La république, voilà à quoi il avait sacrifié jusqu’à ses scrupules et jusqu’aux besoins de son cœur, la justice et l’humanité ; il avait tout donné à son parti, croyant le donner à la république : mais aujourd’hui il ne pouvait plus approuver ni se taire. Sa verve qu’il avait fait servir à la révolution, il la fit servir contre ceux qui la perdaient en l’ensanglantant. Dans son Vieux cordelier il parla de la liberté avec le sens profond de Machiavel, et des hommes avec l’esprit de Voltaire. Mais bientôt il souleva contre lui et les fanatiques et les dictateurs, en rappelant le gouvernement à la modération, à la miséricorde, et à la liberté.
Il fit un tableau frappant de la tyrannie présente sous le nom d’une tyrannie passée. Il emprunta ses exemples à Tacite. « À cette époque, dit-il, les propos devinrent des crimes d’état : de là il n’y eut qu’un pas pour changer en crimes les simples regards, la tristesse, la compassion, les soupirs, le silence même. Bientôt ce fut : un crime de lèse-majesté ou de contre-révolution à Crémutius Cordus, d’avoir appelé Brutus et Cassius les derniers des Romains ; crime de contre-révolution à un descendant de Cassius, d’avoir chez lui un portrait de son bisaïeul ; crime de contre-révolution à Mamercus Scaurus, d’avoir fait une tragédie où il y avait des vers à qui on pouvait donner deux sens ; crime de contre-révolution à Torquatus Silanus, de faire de la dépense ; crime de contre-révolution à Pomponius, parce qu’un ami de Séjan était venu chercher un asile dans une de ses maisons de campagne ; crime de contre-révolution, de se plaindre des malheurs du temps. ! car c’était faire le procès du gouvernement ; crime de contre-révolution à la mère du consul Fusius Géminus, d’avoir pleuré la mort funeste de son fils. »
« Il fallait montrer de la joie de la mort de son ami, de son parent, si l’on ne voulait s’exposer à périr soi-même. Sous Néron plusieurs dont il avait fait mourir les proches, allaient en rendre grâces aux dieux. Du moins il fallait avoir un air de contentement : onavait peur que la peur même ne rendît coupable. Tout donnait de l’ombrage au tyran. Un citoyen avait-il de la popularité ? C’était un rival du prince qui pouvait susciter une guerre civile. Suspect. Fuyait-on au
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