Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
personne. – Et votre paquet ? – Il contenait du linge pour changer, dans le lieu où l’on va me conduire. – Où ? – En prison, et de là à la guillotine. » La malheureuse jeune fille y fut conduite, et sa famille même fut enveloppée dans sa perte.
Robespierre reçut les marques de la plus enivrante adulation. Aux Jacobins et dans la convention, on attribua son salut au bon génie de la république et à l’ Être suprême, dont il avait fait décréter l’existence, le 18 floréal. La célébration du nouveau culte avait été fixée pour le 20 prairial dans toute l’étendue de la France. Le 16, Robespierre fut nommé président de la convention à l’unanimité, pour qu’il servît de pontife à la fête. Il parut, dans cette cérémonie, à la tête de l’assemblée, la figure rayonnante de confiance et de joie, ce qui ne lui était pas ordinaire. Il marchait à quinze pas en avant de ses collègues, seul, dans un costume brillant, tenant des fleurs et des épis à la main, et l’objet de l’attention générale. Chacun s’attendait, ce jour-là, à quelque chose ; les ennemis de Robespierre à des tentatives d’usurpation, les partis persécutés à un régime désormais plus doux. Il trompa l’attente de tout le monde ; il harangua le peuple en grand-prêtre, et il finit son discours, dans lequel on cherchait l’espérance d’un meilleur avenir, par ces décourageantes paroles : Peuple, livrons-nous aujourd’hui aux transports d’une pure allégresse ! Demain, nous combattrons encore les vices et les tyrans !
Deux jours après, le 22 prairial, Couthon vint présenter à la convention une nouvelle loi. Le tribunal révolutionnaire avait frappé docilement tous ceux qui lui avaient été désignés ; royalistes, constitutionnels, Girondins, anarchistes, Montagnards, avaient également été envoyés à la mort. Mais il n’allait pas assez vite au gré des exterminateurs systématiques, qui voulaient, à tout prix et promptement, se débarrasser de leurs prisonniers. On observait encore quelques formes ; on les supprima. « Toute lenteur, dit Couthon, est un crime, toute formalité indulgente est un danger public : le délai pour punir les ennemis de la patrie ne doit être que le temps de les reconnaître. » Les accusés avaient des défenseurs ; ils n’en eurent plus. La loi donne pour défenseurs aux patriotes calomniés des jurés patriotes ; elle n’en accorde point aux conspirateurs. On les jugeait individuellement ; on les jugea en masse. Il y avait quelque précision dans les délits même révolutionnaires ; on déclara coupables tous les ennemis du peuple, et ennemis du peuple tous ceux qui cherchaient à anéantir la liberté, soit par la force, soit par la ruse . Les jurés avaient pour règle de leurs déterminations la loi ; ils n’eurent plus que leur conscience. Un seul tribunal, Fouquier Thinville et quelques jurés, ne pouvaient plus suffire au surcroît des victimes que présageait la nouvelle loi. On distribua le tribunal en quatre sections, on augmenta les juges et les jurés, et l’on donna à l’accusateur public quatre substituts pour lui servir d’auxiliaires. Enfin, les députés du peuple ne pouvaient être traduits en jugement que par décret de la convention ; on rédigea la loi de manière à ce qu’ils pussent l’être par l’ordre seul des comités. La loi des suspects amena celle de Prairial.
Dès que Couthon eut fait son rapport, il y eut dans l’assemblée un murmure d’étonnement et de crainte. « Si cette loi passe, s’écria Ruamps, il ne nous reste plus qu’à nous brûler la cervelle. Je demande l’ajournement. » L’ajournement fut appuyé ; mais Robespierre monta à la tribune : « Depuis long-temps, dit-il, la convention nationale discute et décrète sur-le-champ, parce que depuis long-temps elle n’est plus asservie à l’empire des factions. Je demande que, sans s’arrêter à la proposition de l’ajournement, la convention discute jusqu’à huit heures du soir, s’il le faut, le projet de loi qui lui est soumis. » Aussitôt la discussion s’ouvrit, et en trente minutes, après une seconde lecture, le décret fut adopté. Mais, le lendemain, quelques membres, plus effrayés encore de la loi que du comité, revinrent sur la délibération de la veille. Les Montagnards, amis de Danton, qui craignaient pour eux la disposition nouvelle qui laissait les
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