Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
« Je suis soûl des hommes, dit-il au juré Villate. – Quelle a pu être, lui demanda celui-ci, sa raison de t’attaquer ? – Ce Robespierre est insatiable, reprit Barrère ; parce qu’on ne fait pas tout ce qu’il voudrait, il faut qu’il rompe la glace avec nous. S’il nous parlait de Thuriot, Guffroi, Rovère, Lecointre, Panis, Cambon, Monestier, de toute la séquelle dantoniste, nous nous entendrions ; qu’il demande encore Talien, Bourdon de l’Oise, Legendre, Fréron, à la bonne heure… mais Duval, mais Audoin, mais Léonard Bourdon, Vadier, Vouland, il est impossible d’y consentir. » Livrer des membres du comité de sûreté générale, c’était s’entamer eux-mêmes. Aussi tinrent-ils bons : ils attendirent l’attaque tout en la craignant. Robespierre était très-redoutable. Soit en raison de sa puissance, soit en raison de ses haines et de ses projets, c’était lui qui devait commencer le combat.
Mais comment s’y prendre ? il se trouve pour la première fois l’auteur d’une conjuration ; jusqu’ici il a profité de tous les mouvements populaires, mais il n’en a dirigé aucun. Danton, les cordeliers et les faubourgs ont fait le 10 août contre le trône ; Marat, la Montagne et la commune, ont fait le 31mai contre la Gironde ; Billaud, Saint-Just, et les comités, ont opéré la ruine de la commune et l’affaiblissement de la montagne. Robespierre reste seul aujourd’hui, et il faut qu’il achève de lui-même l’œuvre de sa domination, ébauchée par d’autres. Ne pouvant pas s’aider du gouvernement puisqu’il se déclare contre les comités, il a recours au bas peuple et aux Jacobins. Les principaux conjurés sont, Saint-Just et Couthon dans le comité, le maire Fleuriot et l’agent national Payan dans la commune ; le président Dumas et le vice-président Coffinhal dans le tribunal révolutionnaire ; le commandant de la force armée Henriot, et la société populaire. Le 15 messidor, trois semaines après la loi de prairial, et 24 jours avant le 9 thermidor, la résolution était déjà prise ; à cette époque, et sous cette date, Henriot écrivit au maire : « Camarade, tu seras content de moi et de la manière dont je m’y prendrai : va, les hommes qui aiment la patrie s’entendent facilement pour faire tourner tous leurs pas au profit de la chose publique. J’aurais voulu et je voudrais que le secret de l’opération fût dans nos deux têtes, les méchants n’en sauraient rien. Salut et fraternité. »
Saint-Just était en mission auprès de l’armée du nord, Robespierre le rappela en toute hâte. En attendant son retour, il prépara les esprits aux Jacobins. Dans la séance du 3 thermidor, il se plaignit de la conduite des comités et de la persécution des patriotes qu’il jura de défendre. « Il ne faut plus, dit-il, qu’il reste aucune trace de faction ou de crime en quelque lieu que ce soit. Quelques scélérats déshonorent la convention, mais, sans doute, elle ne se laissera pas opprimer par eux. » Il engagea ensuite ses collègues les Jacobins, à présenter leurs réflexions à l’assemblée nationale : c’était la marche du 31 mai. Le 4 il reçut une députation du département de l’Aisne, qui vint se plaindre à lui des opérations du gouvernement auxquelles il était étranger depuis plus d’un mois. « La convention, lui répondit Robespierre, dans la situation où elle est, gangrenée par la corruption et hors d’état de s’y soustraire, ne peut plus sauver la république ; toutes deux périront. La proscription des patriotes est à l’ordre du jour. Pour moi, j’ai déjà mis un pied dans la tombe, dans peu de jours j’y mettrai l’autre. Le reste est entre les mains de la Providence. » Il était un peu malade à cette époque, et il exagérait à dessein son découragement, ses craintes, et les dangers de la république, pour enflammer les patriotes et rattacher la destinée de la révolution à la sienne.
Sur ces entrefaites Saint-Just arriva de l’armée. Il fut instruit par Robespierre de l’état des choses. Il se présenta aux comités dont les membres le reçurent d’une manière froide ; toutes les fois qu’il entra, ils cessèrent de délibérer. Saint-Just qui, à leur silence, à quelques mots échappés, à l’embarras ou à l’inimitié de leurs visages, comprit qu’il ne fallait pas perdre de temps, pressa Robespierre d’agir. Sa maxime était
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