Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
nouveau battues et sur la défensive.
Cette crise s’était déclarée après la chute du comité de salut public. Celui-ci avait prévenu la disette, tant à l’armée que dans l’intérieur, par les réquisitions et le maximum. Personne n’avait osé se soustraire à ce régime financier, qui rendait les riches et les commerçants tributaires des soldats et de la multitude ; et, pendant cette époque, les denrées n’avaient pas été enfouies. Mais depuis, la violence et la confiscation n’existant plus, le peuple, la convention, les armées, avaient été à la merci des propriétaires et des spéculateurs ; et il était survenu une effroyable pénurie, réaction du maximum. Le système de la convention avait consisté en économie politique dans la consommation d’un immense capital, représenté par les assignats. Cette assemblée avait été un gouvernement riche, qui s’était ruiné à défendre la révolution. Près de la moitié du territoire français, consistant en domaines de la couronne, en biens du haut clergé, du clergé régulier et de la noblesse émigrée, avait été vendu ; et le produit avait servi à l’entretien du peuple, qui travaillait peu, et à la défense extérieure de la république par les armées. Plus de huit milliards d’assignats avaient été émis avant le 9 thermidor, et, depuis cette époque, on avait ajouté trente milliards à cette somme, déjà si énorme. On ne pouvait plus continuer un tel système ; il fallait recommencer le travail, et revenir à la monnaie réelle.
Les hommes chargés de remédier à une aussi grande désorganisation étaient la plupart ordinaires ; mais ils se mirent à l’œuvre avec ardeur, courage et bon sens. « Lorsque les directeurs, dit M. Bailleul (5) , entrèrent dans le Luxembourg, il n’y avait pas un meuble. Dans un cabinet, autour d’une petite table boiteuse, l’un des pieds étant rongé de vétusté ; sur laquelle table ils déposèrent un cahier de papier à lettre et une écritoire à calumet, qu’heureusement ils avaient eu la précaution de prendre au comité de salut public, assis sur quatre chaises de paille, en face de quelques bûches mal allumées, le tout emprunté au concierge Dupont ; qui croirait que c’est dans cet équipage que les membres du nouveau gouvernement, après avoir examiné toutes les difficultés, je dirai plus, toute l’horreur de leur situation, arrêtèrent qu’ils feraient face à tous les obstacles, qu’ils périraient, ou qu’ils sortiraient la France de l’abîme où elle était plongée !… Ils rédigèrent sur une feuille de papier à lettre l’acte par lequel ils osèrent se déclarer constitués ; acte qu’ils adressèrent aussitôt aux chambres législatives. »
Les directeurs se distribuèrent ensuite le travail. Ils consultèrent les motifs qui les avaient fait choisir par le parti conventionnel. Rewbell, doué d’une activité très-grande, homme de loi, versé dans l’administration et la diplomatie, eut, dans son département, la justice, les finances et les relations extérieures. Il devint bientôt, à cause de son habileté, ou de son caractère impérieux, le faiseur général civil du directoire. Barras n’avait aucune connaissance spéciale ; son esprit était médiocre et de peu de ressources ; ses habitudes paresseuses. Dans un moment de danger, il était propre, par sa résolution, à un coup de main, semblable à celui de thermidor ou de vendémiaire. Uniquement capable, en un temps ordinaire, de surveiller les partis, dont il pouvait mieux qu’un autre connaître les intrigues, il fut chargé de la police. Cet emploi lui convenait d’autant plus qu’il était souple, insinuant, sans attachement pour aucune secte politique, et qu’il avait des liaisons de révolutionnaire par sa conduite, tandis que sa naissance l’abouchait avec les aristocrates. Barras se chargea aussi de la représentation du directoire, et il établit au Luxembourg une sorte de régence républicaine. Le pur, le modéré La Réveillère, que sa douceur, mêlée de courage, que ses sincères attachements pour la république et pour les mesures légales, avaient fait porter au directoire d’un élan commun de l’assemblée et de l’opinion, eut dans ses attributions la partie morale, l’éducation, les sciences, les arts, les manufactures, etc. Letourneur, ancien officier d’artillerie, membre du comité de salut public, dans les
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