Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
loin, dit-il, de vouloir atténuer les louanges données au premier consul ; mais, quelques services qu’un citoyen ait pu rendre à sa patrie, il est des bornes que l’honneur, autant que la raison, imposent à la reconnaissance nationale. Si ce citoyen a restauré la liberté publique, s’il a opéré le salut de son pays, sera-ce une récompense à lui offrir que le sacrifice de cette même liberté, et ne serait-ce pas anéantir son propre ouvrage que de faire de son pays son patrimoine particulier ? Du moment qu’il fut proposé au peuple français de voter sur la question du consulat à vie, chacun put aisément juger qu’il existait une arrière-pensée : on vit se succéder une foule d’institutions évidemment monarchiques. Aujourd’hui se découvre enfin, d’une manière positive, le terme de tant de mesures préliminaires : nous sommes appelés à nous prononcer sur la proposition formelle de rétablir le système monarchique, et de conférer la dignité impériale et héréditaire au premier consul.
« La liberté fut-elle donc montrée à l’homme, pour qu’il ne pût jamais en jouir ! Non, je ne puis consentir à regarder ce bien, si universellement préféré à tous les autres, sans lequel tous les autres ne sont rien, comme une simple illusion ! mon cœur me dit que la liberté est possible, que le régime en est facile et plus stable qu’aucun gouvernement arbitraire. J’ai voté dans le temps contre le consulat à vie, je vote de même contre le rétablissement de la monarchie, comme je pense que ma qualité de tribun m’oblige à le faire. »
Mais il fut le seul à penser ainsi ; et ses collègues s’élevèrent à l’envi et avec étonnement contre l’opinion de ce seul homme, resté libre. Il faut voir, dans les discours de cette époque, le prodigieux changement qui s’était opéré dans les idées et dans le langage. La révolution avait rétrogradé jusqu’aux limites de l’ancien régime : il y avait la même exaltation et le même fanatisme, mais c’était une exaltation de flatterie et un fanatisme de servitude. Les Français se jetaient dans l’empire, comme ils s’étaient jetés dans la révolution. Ils avaient tout rapporté à l’affranchissement des peuples, au siècle de la raison ; ils ne parlèrent plus que de la grandeur d’un homme et du siècle de Bonaparte ; et ils combattirent bientôt pour faire des rois, comme naguère pour créer des républiques.
Le tribunat, le corps législatif, et le sénat, votèrent à l’envi l’empire, qui fut proclamé à Saint-Cloud, le 2 floréal an XII (18 mai 18o4). Le même jour, un sénatus-consulte modifia la constitution, qui fut appropriée au nouvel ordre de choses. Il fallut son attirail à cet empire : on lui donna des princes français, de grands dignitaires, des maréchaux, des chambellans, et des pages. Toute publicité fut détruite. La liberté de la presse avait été déjà soumise à une commission de censure ; il ne restait qu’une tribune, elle fut abolie. Les séances du tribunal furent partielles et secrètes, comme celles du conseil d’état ; et, à dater de ce jour, pendant dix années, la France fut gouvernée à huis-clos. Joseph et Louis Bonaparte furent reconnus princes français. Berthier, Murat, Moncey, Jourdan, Masséna, Augereau, Bernadote, Soult, Brune, Lannes, Mortier, Ney, Davoust, Bessieres, Kellermann, Lefebvre, Pérignon, Serrurier, furent nommés maréchaux d’empire. Les départements firent des adresses, et le clergé compara Napoléon à un nouveau Moïse, à un nouveau Mathatias, à un nouveau Cyrus, etc. Il vit dans son élévation le doigt de Dieu, et il dit : Que la soumission lui était due, comme dominant sur tous ; à ses ministres , comme envoyés par lui ; parce que tel était l’ordre de la Providence. Le pape, Pie VII, vint à Paris pour consacrer la nouvelle dynastie. Le couronnement eut lieu, le dimanche 2 décembre, dans l’église de Notre-Dame.
Cette solennité fut préparée long-temps d’avance, et l’on en régla tout le cérémonial d’après les anciens usages. L’empereur se rendit à l’église métropolitaine, escorté par sa garde, avec l’impératrice Joséphine, dans une voiture surmontée d’une couronne, et traînée par huit chevaux blancs. Le pape, les cardinaux, les archevêques, les évêques et tous les grands corps de l’état, l’attendaient dans la cathédrale, qui avait
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