Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
triomphe de la classe moyenne : la constituante étant son assemblée ; la garde nationale, sa force armée, la mairie, son pouvoir populaire. Mirabeau, La Fayette, Bailly, s’appuyèrent sur cette classe et en furent, l’un, le tribun ; l’autre, le général ; l’autre, le magistrat. Le parti Duport, Barnave et Lameth, avait les principes et soutenait les intérêts de cette époque de la révolution ; mais, composé d’hommes jeunes, d’un patriotisme ardent, qui arrivaient dans les affaires publiques avec des qualités supérieures, de beaux talents, des positions élevées, et qui à l’ambition de la liberté joignaient celle du premier rôle ; ce parti se plaça dès les premiers temps un peu en avant de la révolution du 14 juillet. Il prit son point d’appui dans l’assemblée sur les membres de l’extrême gauche ; hors de l’assemblée, sur les clubs ; dans la nation, sur la partie du peuple qui avait coopéré au 14 juillet, et qui ne voulait point que la bourgeoisie seule profitât de la victoire. En se mettant à la tête de ceux qui n’avaient pas de chefs, et qui étant un peu en dehors du gouvernement, aspiraient à y entrer, il ne cessa pas d’appartenir à cette première époque de la révolution. Seulement il forma une espèce d’opposition démocratique dans la classe moyenne même, ne différant des chefs de celle-ci que sur des points de peu d’importance, et votant avec eux dans la plupart des questions. C’était plutôt entre ces hommes populaires une émulation de patriotisme qu’une dissidence de parti.
Duport, dont la tête était forte, et qui avait acquis une expérience prématurée de la conduite des passions politiques dans les luttes que le parlement avait soutenues contre le ministère, et qu’il avait en grande partie dirigées, savait qu’un peuple se repose dès qu’il a conquis ses droits, et qu’il s’affaiblit dès qu’il se repose. Pour tenir en haleine ceux qui gouverneraient dans l’assemblée, dans la mairie, dans les milices ; pour empêcher l’action publique de se ralentir, et ne pas licencier le peuple dont peut-être on aurait un jour besoin, il conçut et exécuta la fameuse confédération des clubs. Cette institution, comme tout ce qui imprime un grand mouvement à une nation, fit beaucoup de mal et beaucoup de bien. Elle entrava l’autorité légale lorsqu’elle était suffisante, mais aussi elle donna une énergie immense à la révolution, lorsque, attaquée de toutes parts, elle ne pouvait se sauver qu’au prix des plus violents efforts. Du reste, ses fondateurs n’avaient pas calculé toutes les suites de cette association : elle était tout simplement pour eux un rouage qui devait entretenir ou remonter sans danger le mouvement de la machine publique quand il tendrait à se ralentir ou à cesser. Ils ne crurent point travailler pour le parti de la multitude ; après la fuite de Varennes, ce parti étant devenu trop exigeant et trop redoutable, ils l’abandonnèrent et ils s’appuyèrent contre lui sur la masse de l’assemblée et sur la classe moyenne, dont la mort de Mirabeau avait laissé la direction vacante. À cette époque il fallait promptement asseoir la révolution constitutionnelle, car la prolonger c’eût été conduire à la révolution républicaine.
La masse de l’assemblée, dont nous avons déjà parlé, abondait en esprits justes, exercés, et même supérieurs ; ses chefs étaient deux hommes étrangers au tiers-état et adoptés par lui. Sans l’abbé Sièyes, l’assemblée constituante eût peut-être mis moins d’ensemble dans ses opérations ; et sans Mirabeau, moins d’énergie dans sa conduite.
Sièyes était un de ces hommes qui font secte dans des siècles d’enthousiasme, et qui exercent l’ascendant d’une puissante raison dans un siècle de lumières. La solitude et les travaux philosophiques l’avaient mûri de bonne heure ; il avait des idées neuves, fortes, immenses, mais un peu systématiques. La société avait surtout été l’objet de son examen, il en avait suivi la marche, décomposé les ressorts ; la nature du gouvernement lui paraissait moins encore une question de droit qu’une question d’époque. Dans sa vaste intelligence était ordonnée la société de nos jours, avec ses divisions, ses rapports, ses pouvoirs et son mouvement. Quoique froid, Sièyes avait l’ardeur qu’inspire la recherche de la vérité et la
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