Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
passion que donne sa découverte ; aussi était-il absolu dans ses idées, dédaigneux pour celles d’autrui, parce qu’il les trouvait incomplètes, et qu’à ses yeux la demi-vérité, c’était l’erreur. La contradiction l’irritait ; il était peu communicatif ; il aurait voulu se faire connaître en entier, et il ne le pouvait pas avec tout le monde. Ses adeptes transmettaient ses systèmes aux autres, ce qui lui donnait quelque chose de mystérieux, et le rendait l’objet d’une espèce de culte. Il avait l’autorité que procure une science politique complète ; et la constitution aurait pu sortir de sa tête, tout armée comme la Minerve de Jupiter ou la législation des anciens, si de notre temps chacun n’avait pas voulu y concourir ou la juger. Cependant, à part quelques modifications, ses plans furent généralement adoptés, et il eut dans les comités beaucoup plus de disciples que de collaborateurs.
Mirabeau obtint à la tribune le même ascendant que Sièyes dans les comités : c’était un homme qui n’attendait qu’une occasion pour être grand. À Rome, dans les beaux temps de la république, il eût été un des Gracques, sur son déclin un Catilina ; sous la fronde, un cardinal de Retz ; et dans la décrépitude d’une monarchie, où un être tel que lui ne pouvait exercer ses immenses facultés que dans l’agitation, il s’était fait remarquer par la véhémence de ses passions, les coups de l’autorité, une vie passée à commettre des désordres et à en souffrir. À cette prodigieuse activité il fallait de l’emploi, la révolution lui en donna. Habitué à la lutte contre le despotisme, irrité des mépris d’une noblesse qui ne le valait pas, et qui le rejetait de son sein ; habile, audacieux, éloquent, Mirabeau sentit que la révolution serait son œuvre et sa vie. Il répondait aux principaux besoins de son époque. Sa pensée, sa voix, son action, étaient celles d’un tribun ; dans les circonstances périlleuses il avait l’entraînement qui maîtrise une assemblée ; dans les discussions difficiles, le trait qui les termine ; d’un mot il abaissait les ambitions, faisait taire les inimitiés, déconcertait les rivalités. Ce puissant mortel, à l’aise au milieu des agitations, se livrant tantôt à la fougue, tantôt aux familiarités de la force, exerçait dans l’assemblée une sorte de souveraineté. Il obtint bien vite une popularité immense, qu’il conserva jusqu’au bout ; et celui qu’évitaient tous les regards lors de son entrée aux états, fut à sa mort porté au Panthéon, au milieu du deuil et de l’assemblée et de la France. Sans la révolution, Mirabeau eût manqué sa destinée, car il ne suffit pas d’être grand homme, il faut venir à propos.
Le duc d’Orléans, auquel on a donné un parti, avait bien peu d’influence dans l’assemblée : il votait avec la majorité, et non la majorité avec lui. L’attachement personnel de quelques-uns de ses membres, son nom, les craintes de la cour, la popularité dont on récompensait ses opinions, des espérances bien plus que des complots, ont grossi sa réputation de factieux. Il n’avait ni les qualités, ni même les défauts, d’un conspirateur ; il peut avoir aidé de son argent et de son nom des mouvements populaires qui auraient également éclaté sans lui, et qui avaient un autre objet que son élévation. Une erreur commune encore, est d’attribuer la plus grande des révolutions à quelques sourdes et petites menées, comme si, en pareille époque, tout un peuple pouvait servir d’instrument à un homme.
L’assemblée avait acquis la toute-puissance, les municipalités relevaient d’elle, les gardes nationales lui obéissaient. Elle s’était divisée en comités, pour faciliter ses travaux et pour y suffire. Le pouvoir royal, quoique existant de droit, était en quelque sorte suspendu, puisqu’il n’était point obéi, et l’assemblée avait dû suppléer à son action par la sienne propre. Aussi, indépendamment des comités chargés de la préparation de ses travaux, en avait-elle nommé d’autres qui pussent exercer une utile surveillance au-dehors. Un comité des subsistances s’occupait des approvisionnements, objet si important dans une année de disette ; un comité des rapports correspondait avec les municipalités et les provinces ; un comité de recherches recevait les dénonciations contre les
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