Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
peuples de l’Orient. » Cette orientation perdit de son sens et de sa portée lorsque l’Inde devint indépendante, en 1947 ; ce qui, à l’heure de gloire de l’URSS triomphante, n’empêche pas le Prix Staline de 1948, Tursun Zade, d’inviter les Indiens à se joindre au Tadjikistan… dont la capitale Duchambé-Stalinabad était passée de 5 000 à 82 000 habitants en moins de vingt ans.
Ces projets expansionnistes grandioses — vers l’Iran, l’Afghanistan, l’Inde même — se heurtèrent à la réalité de la situation en Tadjikistan, aux mentalités des populations ; les dirigeants locaux, mal initiés à la vision stratégique duChef suprême, bandèrent leurs énergies, certes, mais pour atteindre des objectifs plus familiers, plus accessibles et plus populaires : chasser les Russes, constituer un grand Tadjikistan, mais aux dépens de l’Ouzbékistan voisin. Ce qui n’avait pas abouti en 1931-1933 commencerait-il à se réaliser en 1994 ?
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1 .
La traite atlantique a concerné entre 1600 et 1900 environ 11,5 millions de personnes ; 1,8 million au XVII e siècle ; 6,1 millions au XVIII e siècle ; 3,3 millions au XIX e siècle. La traite saharienne (arabe), commencée plus tôt, atteint environ 4 millions de personnes : 900 000 personnes avant 1600, et, ensuite, 700 000 au XVII e , 700 000 au XVIII e , 1,8 million au XIX e siècle. Cf. C. Coquery-Vidrovitch, Afrique noire, permanences et ruptures , p. 33.
2 .
Cf. ici .
3 .
De la même façon, au Sud-Chili, les Indiens Mapuches essaient de récupérer leurs terres, par des moyens juridiques.
CHAPITRE V
Légende rose et légende noire
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Dans les métropoles, la légende rose a pris de multiples formes, quels qu’aient pu être ses différents foyers : le « parti » colonial, l’imaginaire des écrivains et des artistes. La légende noire a existé également, et, dès les origines, émanant elle aussi de plusieurs foyers et s’exprimant sous diverses formes ; et, au XX e siècle, l’une et l’autre utilisèrent surtout le cinéma.
Volontiers présentée en Occident comme un fait essentiellement économique, la colonisation fut aussi bien une entreprise de prosélytisme, qui se vit comme une vocation à christianiser et à civiliser des peuples jugés ou définis comme inférieurs. Dès ses tout débuts, il en est qui mirent en cause cette représentation. Sans doute les colonisés furent-ils sensibles aux différents aspects du phénomène, mais ce fut bien la dimension raciste qui suscita chez eux les mouvements de colère et de résistance les plus durables parce qu’ils concernaient leur identité propre. Les colonisateurs en eurent-ils conscience ? Ceux qui mirent en cause le principe de la colonisation, sans doute ; mais au point de ne pas percevoir qu’il existait du racisme chez les colonisés aussi, au moins chez certains, et avant que l’Europe ne mît la main sur eux.
Quant aux chantres de l’épopée coloniale, ils se situaient dans une perspective différente : toute une propagande s’était mise en place, véhiculée par les journaux, les illustrés, les cartes postales, les livres scolaires et les expositions coloniales, notamment celle de 1931 à Paris. Ce dispositif était plus ou moins orchestré par ce qu’on a appelé le « parti colonial », avec ses lobbies . Bien avant qu’une politique impérialiste ne fût mise sur pied, deshommes comme Thomas Carlyle en Grande-Bretagne, Chomyakov et Tiouttchev en Russie, clamaient la supériorité de l’Anglais, du Slave, et ces mouvements étaient à l’origine de ligues , bientôt en place dans chaque pays : le cercle de la Round Table en Grande-Bretagne, de la Deutscher National Verein en Allemagne, la Società nazionale en Italie, etc. En France, des hommes comme Étienne avant 1914, et Paul Doumer, après la Première Guerre mondiale surtout, furent les maîtres animateurs de ce parti colonial.
Or, à cette influence venue d’en haut, s’en ajouta une seconde qui toucha en profondeur la société occidentale, mais de profil . Cette légende-là naquit spontanément, et elle rencontra aussitôt l’adhésion du public.
Elle n’avait pas d’objectifs économiques ou politiques, ne visait pas non plus à glorifier la grandeur de l’Empire — ses agents cherchaient seulement à solliciter l’imaginaire, à faire rêver…
De la littérature de voyage à Jules Verne
Telle fut, d’abord, la fonction
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