Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
qu’elle emprunte tous les droits à la nécessité. » « C’est la loi du progrès — les Indiens disparaîtront. Devant la race anglo-saxonne, Australiens et Tasmaniens se sont évanouis. Un jour peut-être, les Arabes seront anéantis devant la colonisation française » (La Jangada , cité in Jean Chesneaux, Une lecture politique de Jules Verne) .
Au vrai, il est des sentiments que Jules Verne attribue aux Anglais mais qu’en France on partage — et notamment que certains Noirs sont des bêtes : « De spectacle nouveau, il n’y en a point cette semaine », écrit le critique Jules Lemaitre, le 19 septembre 1887. « Je ne vois guère que les Achantis, au Jardin d’acclimatation. Il est charmant, ce jardin […], les petits enfants ont la joie d’y retrouver les bêtes mystérieuses dont il est question dans les histoires de voyages — ils peuvent se faire voiturer par l’autruche, se jucher sur le chameau. Et, pour que rien ne manque à la fête, on leur montre des sauvages. Ces exhibitions ne donnent pas une fière idée de l’humanité […]. Mais vous me demanderez sans doute qu’est-ce que ces gens-là sont venus faire au monde ? — Eh bien, disons-le, les Achantisde la Côte de l’Or et autres sauvages existent pour nous servir un jour. »
La relève du cinéma : « La Charge de la Brigade légère »
Le cinéma avait pris la relève du roman ou des journalistes pour enraciner cette attitude « colonialiste ». Quelques-uns de ses maîtres, qui y ont contribué, ont bien voulu l’oublier : Jean Renoir, par exemple, qui, juste après avoir réalisé ses films « de gauche », La vie est à nous et La Marseillaise , et évoquant ses « souvenirs » dans Le Point de 1938, omet seulement de citer Le Bled (1929). On imagine les raisons : commandité par le Gouvernement général pour commémorer le centenaire de la prise d’Alger, ce film s’ouvre par une glorification de la conquête, et est jugé « une œuvre d’utile propagande coloniale » (Afrique française , mai 1929). Au vrai, ce qui frappe dans ce tableau de l’Algérie française, c’est qu’on n’y voit guère d’Arabes… Ils n’existent pas davantage dans Le Grand Jeu , de Jacques Feyder, réalisé en 1934. Ce trait demeure dans toute une série de films de ces années de la gloire impériale… Certes, la Casbah est présente, et bien présente, dans Pépé le Moko , mais elle constitue un cadre étouffant à l’action plus qu’elle ne représente un refuge contre la colonisation. Ailleurs le Maghreb sert de cadre, certes, mais, comme la Rome antique dans Shakespeare, ce cadre n’est guère historique, même si le film est tourné en extérieur, tel La Bandera .
Comme l’Autre, l’« indigène » n’existe pas : au reste, son rôle est joué par un Européen 1 ; s’il veut néanmoins manifester, il ne le saurait qu’en s’occidentalisant : PierreSorlin a bien montré que, dans Pépé le Moko , on identifie l’Arabe à un Juif, avec ce que recèle tout l’antisémitisme ambiant des années trente : comportement cauteleux, regard fuyant, etc. S’il va plus outre, et si la Mauresque s’amourache d’un colon, alors le drame éclate. Dans Bourrasque , de Pierre Billon (1935), pour la première fois une indigène devient l’héroïne d’une histoire, l’action se passant en Algérie. Sujet tabou, on n’y reviendra plus.
Que le cadre soit le sable chaud, la Casbah ou les tripots, les héros sont souvent des militaires, du Roman d’un spahi à La Bandera : dans ce film de Julien Duvivier, l’Arabe est bien présent, peu visible toutefois, mais pour y devenir le « salopard » qui perturbe l’ordre instauré par la colonisation. L’action se passe dans le Maroc espagnol, elle est toute à la gloire de la Légion étrangère : les engagés se purifient de leur passé criminel en assurant la survie de cette pacification — et en mourant pour elle…
Quant à la fonction de ces troupes, le commentaire d’un sujet d’actualité Pathé sur le Maroc, daté de 1934, la donne en clair par une sorte de ces « lapsus » dont le cinéma est familier ; voici la retranscription de la bande-son, les images montrant un convoi de camions dans la montagne marocaine :
« Parallèlement à ces mouvements de troupes se produit un incessant mouvement de transports civils, et l’on peut prononcer maintenant le mot de conquête, car il s’agit d’une conquête pacifique.
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