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Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle

Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle

Titel: Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Ferro
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de cette littérature de voyages, dont Robinson Crusoé fut le prototype, comme l’a vu Octave Mannoni, dans Psychologie de la colonisation, Prospero et Caliban . Après lui, l’Europe entra en contact avec les indigènes dans ce florilège de littérature exotique dont les premiers héros se situent en Amérique, avec Chamfort —  La Jeune Indienne (1748), Colman, Inkle and Yarico (1787), bien avant Chateaubriand, Fenimore Cooper ou Bernardin de Saint-Pierre. Une première structure romanesque naît avec ses personnages emblématiques, une histoire d’amour entre un Européen et une jeune indigène qui représente la pureté alors qu’en métropole tout est pourri. Avec Pierre Loti, Joseph Conrad, les sociétés qu’on rencontre — Tahiti, la Turquie — sont toujours plus justes que la nôtre —, ce qui stimule l’attirance pour le départ. Une deuxième catégorie d’œuvres intervient dans le même sens, le roman d’aventures : il transforme les difficultésrencontrées en Europe en une série d’actions héroïques qui transfigurent celui qui s’identifie à l’aventurier. Indépendamment de ceux qui, par ce détour, chantent la grandeur de l’Empire, tel Rudyard Kipling, d’autres construisent la figure de ces nouvelles « élites » de la civilisation technique et industrielle. Jules Verne invente ces nouveaux aventuriers dont la geste se situe volontiers aux colonies…
    A la frontière du racisme, son œuvre incarne cette position ambiguë, encore dans la tradition du Supplément au voyage de Bougainville , tout imprégnée des vues idéalistes du XVIII e  siècle sur la supériorité de l’état de nature, mais qui exige un passage au monde vraiment civilisé — celui du progrès, de la technique, de l’hygiène —, la justification la plus constante des entreprises coloniales, et de tous leurs excès.
    Thalcave, le guide araucan des Enfants du capitaine Grant (1868), est le prototype du Bon Sauvage, « grave et immobile, tout de grâce naturelle, avec sa fière désinvolture, sa discrétion, son dévouement, son intimité innée avec le monde de la nature ». Les autres types se situent souvent dans les confins des Amériques ou de la Sibérie, dans les déserts — bref, là où ils n’ont pas constitué de véritables États… A l’inverse, les « Mauvais Sauvages », ces « fauves à face humaine », se trouvent souvent en Afrique noire et au pays des « Tartars », et sont, au reste, des dirigeants plus que des sujets : de façon imperceptible, il s’agirait plutôt de ceux qui s’opposent aux entreprises de la France et de son alliée, la Russie ; alors que le capitaine Nemo, incarnation de la révolte contre les maîtres du monde, se veut Indien des Indes, par conséquent antianglais, comme le sont les héros de La Maison à vapeur (1880), ou encore les Maoris de la Nouvelle-Zélande, ces « hommes fiers qui résistent pied à pied aux envahisseurs ».
    La critique du système anglais de colonisation se situe ainsi au centre de l’œuvre de Jules Verne, tel ce passage où il évoque leur comportement en Australie : « Où le major soutient que ce sont des singes ». Les colons considéraient les Noirs comme des animaux sauvages. Ils les chassaient et les tuaient à coups de fusil. On invoquait l’autorité desjurisconsultes pour prouver que l’Australien était hors de la loi naturelle. Les journaux de Sydney proposaient même un moyen efficace de s’en débarrasser : les empoisonner en masse. « […] Les meurtres s’organisèrent sur une vaste échelle, et des tribus entières disparurent. » Jules Verne ajoute : « Si l’anéantissement d’une race est le dernier mot du progrès colonial, les Anglais peuvent se vanter d’avoir mené leur œuvre à bon terme », dans Mrs. Branican , à propos de la Tasmanie et de l’Australie (1891).
    De fait, Jules Verne n’applique ses principes quarante-huitards qu’aux victimes de la colonisation britannique.
    Pourtant, chez lui, l’idée de progrès — du progrès de la civilisation lié à celui de la technique — l’emporte sur toute autre considération. Le droit des peuples n’existe vraiment que pour autant que ceux-ci participent à cette civilisation : les Hongrois, les Polonais ont ainsi, dans Mathias Sandorf (1885), sa sympathie tout entière. Mais pas ceux qui refusent le progrès : « Le droit tombe devant la force, certes, mais la civilisation ne recule jamais et il semble

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