Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
Sepulveda fut l’objet d’une controverse ouverte, en août 1550, dans la chapelle du couvent de San Gregorio, en présence de quatorze participants. Le docteur de Sepulveda répondit aux arguments de Las Casas en faisant valoir « que la guerre aux Indiens était non seulement licite mais recommandable car elle était légitime au regard de quatre arguments : 1. La gravité des délits des Indiens, en particulier leur idolâtrie et leurs péchés contre nature.
2. La grossièreté de leur intelligence qui en fait une nation servile, barbare, destinée à être placée sous l’obédience d’hommes plus avancés comme le sont les Espagnols.
3. Les besoins de la foi, car leur sujétion rendra plus facileet rapide la prédication qui leur sera faite. 4. Les maux qu’ils s’infligent les uns aux autres, tuant des hommes innocents pour les offrir en sacrifice ».
La controverse tourna à l’avantage de Las Casas, car le Docteur ne reçut pas le droit d’imprimatur. Il est vrai que son argumentation allait contre les intérêts du monarque qui souhaitait dessaisir les conquérants de la capacité de traiter les Indiens à leur guise — pour pouvoir se les soumettre directement, au nom de l’Eglise, autant qu’il se pourrait. Désormais les rois d’Espagne ne veulent plus qu’on appelle les découvertes « conquêtes ». A la tête du Conseil des Indes, ils placent des hommes qui doivent conduire les populations « pacifiquement et charitablement ». On doit, certes, « pacifier et endoctriner les Indiens, mais leur nuire aucunement ». L’ambition et l’intention du monarque sont bien de soumettre les terres et les hommes à la Couronne, mais autrement.
La controverse avait laissé apparaître deux conceptions de la colonisation. Celle de Sepulveda insiste sur les différences entre Indiens et Espagnols, — ce qui justifie la domination de ceux qui sont supérieurs. Il défend ainsi, après Aristote, les principes d’une société hiérarchique — en vertu de la reconnaissance des différences toujours identifiées à des infériorités. Celle de Las Casas, égalitariste, insiste sur la ressemblance des Indiens avec les chrétiens, et attribue déjà les vertus des fidèles aux infidèles, puisque tout le monde peut devenir chrétien : il ne faut donc pas perdre cette occasion d’élargir le royaume du Christ : les vrais déchets de l’humanité, pour Las Casas, ce sont ceux qui ne peuvent pas devenir chrétiens, autrement dit « les Turcs et les Maures, les musulmans ».
Les appels de l’abbé Las Casas n’eurent guère d’effet sur le comportement des conquérants espagnols — pas plus, au reste, que ceux du poète Camoens (1524-1580) sur ses compatriotes portugais :
« Gloire de commander ! Vain désir de cet orgueil que nous appelons Renommée… Goût frauduleux qu’attise un vent populaire nommé l’Honneur… […] Puisque tu mets toute ton affection dans cet orgueil attrayant, puisque, de la cruauté brutale et de la férocité tu as fait le courage et labravoure ; puisque tu prises — autant que le mépris de la vie, qui devrait toujours être méprisée, lorsque Celui même qui nous la donne redoutait tant de la perdre ;
» — n’as-tu pas, près de toi, l’Ismaëlite, avec lequel tu auras toujours plus de guerres qu’il ne t’en faut ? Ne suit-il pas la maudite loi d’Arabie, si tu ne combats que pour la foi chrétienne ? Ne possède-t-il pas mille cités et une terre infinie si tu désires plus de terres et de richesses ? N’est-il pas exercé dans les sciences des armes, si tu veux qu’on te loue pour tes victoires ? Tu laisses l’ennemi croître à tes portes, pour aller en chercher un autre si loin et dépeupler ton antique royaume, que ces exils volontaires affaibliront… Tu cherches le péril incertain pour que la renommée t’élève et te flatte… » (Les Lusiades) .
Contre la traite des Noirs : les raisons et les sentiments
Est-ce le mirage des sources, de leur production et reproduction ? On constate qu’un espace de près de deux siècles sépare les premiers appels à la défense des colonisés et la seconde vague de ce mouvement humanitaire… A-t-elle été régénérée par la littérature de voyages, si vivace vers 1700 et après : on pense à Bougainville, au père Lafitan, à Raleigh…
Le premier mouvement, celui du XVI e siècle, avait émané des hommes d’Église, et on a pu se demander s’il visait
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