Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
aussi. Successivement, Henry Wheaton, Lass F. Oppenheim et De Malten, respectivement américain, anglais et russe,avaient défini les fondements du droit, à l’occasion de la signature de traités « inégaux » avec la Chine, le Siam, l’Abyssinie, l’Empire ottoman.
Ainsi, un concept culturel, la civilisation, et un système de valeurs avaient une fonction économique et politique précise. Non seulement ces pays devaient garantir aux Européens les droits qui définissent la civilisation — et qui, en fait, assuraient leur prééminence —, mais leur sauvegarde devenait la raison d’être, morale il s’entend, des conquérants.
Or, ceux qui ne s’y conformaient pas devenaient des criminels, des délinquants, donc punissables. Ainsi, en Inde par exemple, les Anglais dénomment « tribus criminelles » des groupes sociaux entiers — qui n’étaient d’ailleurs pas nécessairement des tribus —, ce qui légitimait une intervention qui avait pour fin de substituer la législation coloniale aux us traditionnels et à la jurisprudence en usage : de sorte qu’on définissait comme « criminels » des hommes et des femmes qui n’avaient aucunement rompu avec leur groupe social d’appartenance. Le Criminal Tribes Act , de 1871, puis le Criminal Castes and Tribes Act de 1911 marquent le tournant décisif de cette mainmise qui aboutit à la condamnation aussi bien du sati (le suicide des veuves) qu’à l’élimination des Thugs et autres « bandits de grand chemin ». Le terme choisi qui confond caste et tribu permet d’exclure des groupes humains entiers, tels les Kuravar de la région de Madras, définis comme « voleurs héréditaires » (Marie Fourcade).
Cette manière de réprimer ne recèle-t-elle pas un certain relent de racisme ?
Or, en ce XIX e siècle, les idées de Darwin exercent une véritable fascination : l’œuvre de Marx en témoigne, et la lutte des classes constitue la version humaine de la lutte des espèces analysée par Darwin. Quant à la colonisation, elle apparaît comme le troisième versant de cette conviction scientiste : si ce n’est que, dans sa bonté, l’homme blanc ne détruit pas les espèces inférieures, il les éduque — à moins qu’elles ne soient pas « humaines » — tels les Boshimans ou les aborigènes d’Australie à qui il ne fut même pas donné un nom, et, dans ce cas, il les extermine.
La force de la conviction impérialiste tenait à ce que ce mouvement associait à la fois les chantres de la raison et du progrès qui, en histoire, croyaient à l’inéluctabilité d’un développement des sociétés, à son intelligibilité aussi, et, d’autre part, des hommes qui plaçaient l’instinct au-dessus de la raison et considéraient le besoin d’action comme une donnée essentielle de vie. Le premier courant, animé en Angleterre par le néo-idéalisme d’Oxford, concevait l’univers comme un organisme qu’animent sa force morale et sa volonté. L’Empire, celui des Britanniques, évidemment, se trouve ainsi au stade le plus élevé de l’organisation sociale ; Spencer Wilkinson en fut un des principaux chantres, dont les propos marquèrent des hommes tels que les Anglais Alfred Milner, Toynbee, Haldane, et, en Allemagne, les disciples de l’historien Ranke.
« L’Empire doit d’abord tenir sa vraie place dans le cœur de ses propres sujets… Elle ne vient pas de l’affirmation que la force prime le droit, ce qui est le credo du despotisme ; ni que le droit passe la force, erreur fréquente chez les enthousiastes superficiels ; mais de la conviction que l’Univers est la manifestation d’un ordre intelligible, inséparable de l’ordre révélé par le mécanisme de la pensée » (Spencer Wilkinson, The Nation’s Awakening , 1896).
Naturellement, les historiens anglais voyaient dans l’Empire britannique un accomplissement historique. Curieusement, ils opposaient aux marxistes, et notamment à l’Allemand Franz Mehring, un modèle de développement historique parallèle et différent. Alors que les marxistes en définissaient les phases de l’esclavage, de la féodalité, du capitalisme comme annonciatrices du socialisme, les impérialistes anglais, et notamment J.R. Seeley mais surtout J.A. Cramb, dans The Origin and Destiny of Imperial Britain , isolaient d’autres étapes du développement historique : l’État-cité, l’État féodal, l’État de classes, l’État national démocratique.
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