Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
l’Égypte et le canal de Suez : en 1917 contre les Turcs, en 1942 contre Rommel et les Italiens. L’argumentaire anglais consistait à considérer que l’Égypte n’était plus libre depuis les Pharaons : Grecs, Romains, Byzantins, Arabes, Turcs, Français l’avaient successivement occupée. Ils s’en saisissaient pour mieux la défendre… (cf. Valentine Chirol, The Egyptian Problem ). Or, pendant la Seconde Guerre mondiale, les Égyptiens se seraient bien passés de cette « protection », comme en témoignèrent les incidents bruyants qui saluèrent les succès de Rommel en 1941… Les Anglais jugèrent, en conséquence, qu’une fois la guerre finie ils devaient évacuer l’Égypte ; mais après leur départ du Caire, en 1947, ils obtinrent que Ismaïlia et la zone du canal de Suez pourraient être réoccupées militairement pour prévenir une menace étrangère sur la Turquie ou le monde arabe ; il s’agissait évidemment de l’URSS, mais cela parut également un prétexte.
Bien que les Anglais aient évacué le pays dans les délais prévus — et même avant l’échéance —, les relations avec les généraux Néguib et Nasser, arrivés au pouvoir à la suite d’un putsch en juillet 1952, ne s’en détériorèrent pas moins très rapidement. Les Anglais voulaient continuer à jouer, à Suez et en Égypte, le rôle de parrains privilégiés, et surtoutà maintenir l’Égypte dans leur jeu, considérant ces nouveaux dirigeants qu’ils ne contrôlaient pas comme des intrus. Ils espéraient les démonétiser et les faisaient passer pour des dictateurs puisqu’ils avaient supprimé les partis politiques : le WAFD notamment, le Parti communiste ; et qu’ils persécutaient les Frères Musulmans — qui, au vrai, avaient voulu assassiner Nasser. La mauvaise volonté manifestée à l’occasion du projet d’Assouan participait de cette politique : au fond, les Anglais ressentaient leur évacuation de l’Égypte comme une retraite contrainte et forcée — et non comme le résultat d’un accord avec un partenaire. De leur côté, Néguib et Nasser multiplièrent les traits hostiles envers les alliés de l’Angleterre, l’Irak notamment, et les « fêtes insolentes célébrant le départ du dernier soldat anglais » ne firent qu’ajouter à la colère des anciens occupants.
En tout cas, l’Angleterre réagit aussitôt : elle reconnut l’indépendance du Soudan. La procédure ne lanterna pas, et elle fut sans comparaison avec les atermoiements que Londres avait pu commettre à l’égard de l’Inde, de l’Égypte, ou de la Malaisie… L’objectif des Anglais était clair : couper le cordon ombilical entre l’Égypte et le Soudan, alors que, grâce à un usage habile de la procédure d’autodétermination, Nasser eût souhaité maintenir une sorte de condominium soudano-égyptien, c’est-à-dire en revenir au passé où le Soudan avait fourni « des terres pour des colons égyptiens, des soldats pour leur armée, la sécurité pour l’eau du Nil ». Bref, le Soudan serait redevenu une dépendance, comme au temps d’Ismaïl.
Les fêtes de l’indépendance soudanaise, la commémoration de la mort héroïque de Gordon Pacha — autant de manifestations qui alourdirent encore, si besoin était, le contentieux anglo-égyptien. Car Nasser, qui avait des attaches au Soudan comme beaucoup de militaires, s’était efforcé, par tous les moyens, de retarder cette échéance de l’indépendance, en intervenant notamment auprès de sectes proégyptiennes du Soudan, telles les Ansar et les Khatima. Or, il ne pouvait exprimer ouvertement les ambitions colonialistes de l’Égypte au moment où, face àl’Occident « impérialiste », il se voulait le chantre du droit des nations à disposer d’elles-mêmes.
« Pourquoi êtes-vous hostile au pacte de Bagdad ? », demanda Eden à Nasser lorsqu’il le rencontra. « Parce qu’il divise le monde arabe », répondit Nasser au successeur de Churchill. Celui-ci ne voulut pas comprendre que le projet du colonel égyptien était de regrouper le cercle des pays arabes, puis celui des peuples islamiques, et le cercle africain enfin. Projet qui parut démentiel et fit de Nasser « un nouvel Hitler », tant cette volonté expansionniste, jointe à l’intransigeance et à une politique antidémocratique, sembla invraisemblable à Anthony Eden, et bientôt à d’autres dirigeants occidentaux. En premier lieu, le ministre
Weitere Kostenlose Bücher