Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
fruits de ces mariages temporaires (muta) que l’Islam tolérait — et tolère encore. « Lorsqu’une Nayar s’aventure dans certains quartiers, elle devient musulmane » — ce dicton dit bien qu’exclues de leur caste ces femmes devaient se convertir.
La conversion d’un intouchable ou d’un homme de basse caste le hissait dans l’échelle sociale. Cette pratique eut pour résultat d’accroître la force de la communauté étrangère — ces marchands arabes de passage, qui, enracinés, finissaient par occuper dans la société une place honorable, pour autant qu’en échange ils épargnent aux castes supérieures, les hindous, les souillures des voyages maritimes tout en leur apportant une part de profit.
Pourtant, notait le géographe arabe Ibn Battuta, un siècle avant l’arrivée des Portugais, la majorité hindoue n’exprimait qu’un mépris condescendant pour la richesse temporelle des musulmans.
Actifs, eux aussi, le long des côtes de l’Inde, les Chinois confirment que, lorsque des Arabes étrangers venaient en Inde, on leur donnait des sièges en dehors des portes et on les logeait dans des maisons séparées — pour éviter lasouillure. Les aliments leur étaient servis sur des feuilles de bananier, les chiens et les oiseaux mangeant le reste… Selon Ibn Battuta, « les Infidèles [c’est-à-dire, pour lui, les hindous] se détournaient du chemin dès qu’ils nous voyaient »…
Pourtant, la situation changea lorsque les invasions musulmanes venues de Delhi amenèrent à la fois une réaction brahmane et l’islamisation de quelques princes indiens, depuis le Gujarat jusqu’à Malacca, c’est-à-dire au long de la route des épices. Peu à peu, le bloc brahmanique de l’Inde dravidienne était ainsi investi par l’Islam ; mais alors qu’au nord il se heurtait à une puissance territoriale ancrée à Delhi, il était entouré par ailleurs de communautés islamiques de marchands et de marins de plus en plus solidaires de leurs coreligionnaires. Parmi celles-ci, peu à peu les Gujarakis avaient pris le dessus sur les Mãppilla du Kerala, mais ceux-ci, devenant soldats ou marins de la flotte de guerre, ils s’intégraient de plus en plus à la société indienne ; lorsque éclataient des conflits entre Cochin et Calicut, ils jouaient quelquefois les intermédiaires. Ils jouèrent également ce rôle, pendant un temps, avec les Portugais, et ce fut à eux qu’eut affaire Vasco de Gama.
Les Portugais voulaient en découdre avec les Mouros de Meca — les Arabes — qu’ils voulaient éliminer de l’océan Indien, quitte à traiter avec certains des Mouros de Terra — les musulmans en Inde —, ceux du Kerala notamment.
Mais qu’Albuquerque voulût contrôler toutes les routes, y exercer un monopole en faisant de Goa le centre nerveux de son empire, et incontinent les musulmans de Malabar lui devinrent hostiles…
A LBUQUERQUE ET M AMALE DE C ANANOR
« Les Princes sont comme les crabes et mangent leurs parents », ce dicton indien explique en partie les succès des Portugais qui surent tirer parti de leurs querelles, Albuquerque notamment. Les victoires de Duarte Pacheco lui ouvrirent la voie, elles aboutirent à la restauration du royaume de Cochin, qui n’en demeura pas moins sous lamenace d’une offensive du Samorin de Calicut, soutenu par le sultan d’Égypte et par Venise — une alliance « honteuse » — qui voyait d’un mauvais œil se développer les entreprises du Portugal.
Pour mieux contrôler le trafic, explique Geneviève Bouchon, don Francisco d’Almeida avait renforcé la forteresse de Sant’Angelo d’où il était aisé de saisir les cargaisons — le mécontentement des marchands indiens étant à son comble ; à Cochin, ils assassinèrent et brûlèrent le Feitor de KoIlam et 12 de ses compagnons réfugiés dans une église. Les représailles furent immédiates, et le fils du vice-roi détruisit toute la flottille des marchands, ces 27 navires flambant avec leur riche cargaison d’épices, pierres précieuses, chevaux et éléphants. Les équipages portugais soupèrent à la clarté des flammes. Les musulmans de Cananor appelèrent à la vengeance, le siège de cette forteresse accélérant le cycle infernal des attentats et de la guerre. La flotte de Calicut répondit à l’appel, mais la précision des artilleurs portugais consacra la supériorité de la flotte du roi Manuel (1505). Sur terre, ils eurent plus de mal
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