Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
les Indiens avaient. Ce qu’il y a de mal dans tout cela, c’est de les avoir fait trop travailler dans les mines, dans les pêcheries de perles et dans les transports » (Lopez de Gomara, Historia general de las Indias , cité in Romano, p. 112-113).
L A RENCONTRE AVEC LES I NDIENS
Cet historique, glorieux mais critique, est sans doute un des premiers textes théoriques qui justifient la conquête et légitiment sa violence.
L’itinéraire des rencontres entre les Espagnols et les Indiens rend mieux compte de la réalité des premiers contacts, au moins telle qu’elle a été vécue. Christophe Colomb, qui les précède, est nécessairement le premier témoin.
« Ce roi et tous les siens allaient nus comme leur mère les avait enfantés, et leurs femmes de même sans nul embarras. Ils sont tous comme les Canariens, ni nègres ni blancs… » Ce trait est le premier qui frappe Colomb, mais aussi le fait qu’ils n’ont pas le sens de la propriété ni de la valeur des choses : « Tout ce qu’ils ont, ils le donnent pourn’importe quelle bagatelle qu’on leur offre, au point qu’ils prennent en échange jusqu’à des morceaux d’écuelle ou de verre cassé… Pour n’importe quoi qu’on leur donne, sans jamais dire que c’est trop peu, ils donnent aussitôt tout ce qu’ils possèdent […] » « Ils sont sans convoitise pour les biens d’autrui… Ils donnent aussi bien de l’or qu’une calebasse… »
Mais, qu’il leur advienne de dérober et Colomb leur fait couper le nez et les oreilles… Ces bons sauvages sont tous devenus des voleurs…
« Ils croyaient tous que les chrétiens venaient du ciel et que le royaume de Castille s’y trouvait », juge Christophe Colomb, mais ce sont ses propres croyances qu’il leur attribue aussi bien. « Ils viennent du ciel et sont à la recherche de l’or », aurait dit un Indien à son roi. Mais qu’en a compris Colomb qui ne saisit pas leur langage ? Il le croit parce qu’il le fait : il apporte sa religion et emporte en échange de l’or…
Puisqu’il leur apporte la religion, c’est qu’il les considère comme des hommes, égaux et identiques à lui et qu’il va convertir. Mais qu’ils ne se laissent plus dépouiller et déjà il estime qu’il convient de se les soumettre, par le glaive, s’il le faut : « Ils sont propres à être commandés. » Ceux qui ne sont pas déjà chrétiens ne peuvent être ainsi qu’esclaves. Il en va de même des femmes : Michel de Cuneo, compagnon de Colomb, raconte : « Pendant que j’étais dans la barque, je capturai une très belle femme caraïbe, et l’ayant amenée dans ma cabine et elle étant nue selon leur coutume, je conçus le désir de prendre plaisir. Je voulus mettre mon désir à exécution, mais elle ne voulut pas et me traita avec ses ongles de telle façon que j’eusse préféré n’avoir jamais commencé. Mais, ce voyant, je pris une corde et la rossai bien, à la suite de quoi elle éleva des hurlements inouïs, tu n’eus pu croire tes oreilles. Finalement nous vînmes à un accord tel que je puis te dire qu’elle semblait avoir été élevée dans une école de putains. »
L’intérêt du livre de Tzvetan Todorov, La Conquête de l’Amérique , c’est qu’il montre à travers les textes des premiers découvreurs et conquistadores que les traits essentiels de l’histoire de la colonisation sont déjà là,comme embryonnaires, et qu’ils ne feront que se développer. On y trouve la conversion, l’échange inégal, la violence sexuelle, une vision de l’autre qui en fait alternativement un autre nous-même qu’on veut assimiler — on le christianise — ou un esclave.
Il s’y ajoute une constante tactique qu’on retrouve dans la plupart des conquêtes du XVI e au XIX e siècle : celles des Espagnols en Amérique du Sud ou des Russes en Asie centrale comme au Caucase, des Français au Maghreb comme des Anglais en Inde : lorsqu’une force de résistance organisée se présente, le conquérant négocie avec elle pour mieux la briser ensuite, souvent en gagnant à sa cause une partie de ses rivaux, ces notables qui assurent ensuite sa domination sur le reste de la population.
L ES CONQUISTADORES : C ORTEZ , P IZARRE , V ALDIVIA
L’établissement des Espagnols avait commencé par l’occupation de l’île de Saint-Domingue, Hispaniola. En 1509, le fils de Christophe Colomb commença la conquête de Cuba. Elle est achevée en 1514
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