Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
survécu à la conquête russe et soviétique. On multiplierait les exemples, en Afrique du Sud ou centrale notamment.
Souvent, certains conflits anciens ont été exacerbés par l’établissement de frontières qui chevauchent d’anciens systèmes relationnels, dans l’ensemble de l’Afrique noire essentiellement.
Mais plus significative encore est la résurgence de situations que l’époque coloniale a contribué à modifier, à aggraver, alors qu’il avait pu sembler que ces conflits ancestraux étaient anesthésiés à jamais. Les études ethno-historiques de Jean-Pierre Chrétien en fournissent un bon exemple au Burundi et au Rwanda, où les luttes sanglantes entre Hutu et Tutsi ont repris dès 1972. Le clivage relève d’une différenciation des clans antérieure à l’Europe ; mais l’expression sanglante d’une opposition entre ces groupes et catégories ne s’est manifestée que durant les années cinquante et soixante. « La montée en puissance de la carte ethnique dans la constitution des clientèles politiques a débouché sur un engrenage de discriminations, de violences et de peurs apparemment incontrôlable. Entre ces deux moments, celui du vécu archaïque d’une différence, et celui d’un conflit à forme raciale, se place l’épisode colonial. »
De l’hégémonisme européen à l’hégémonisme américain
Au XIX e siècle, ce plus ample mouvement est bien la révolution industrielle, dont la Grande-Bretagne est la force motrice, prenant sans effort la place de l’Espagne et du Portugal en Amérique du Sud, à la fois pour écouler sesproduits industriels et pour y contrôler les circuits commerciaux. Les nouveaux États s’endettent pour acquérir les merveilles de la production britannique et les Anglais se contentent de faire du business. Une sorte de nouveau pacte colonial s’élaborait ainsi, qui associait les intérêts des industriels européens aux classes dirigeantes locales, mais bientôt les premiers contrôlaient une partie de l’économie du pays. La Grande-Bretagne est maîtresse au Pérou et aussi en Argentine, les capitalistes allemands se sont emparés du commerce du café au Guatemala ; à Cuba, les compagnies américaines prennent possession des terres à sucre. Bientôt, les basses terres de l’Amérique centrale sont entamées à leur tour : l’empire bananier, contrôlé par Boston, est en train de naître. A Haïti et à Saint-Domingue, où le revenu principal de l’État provient des douanes, le prêteur américain récupère son argent en s’assurant leur contrôle.
On retrouve entre 1870 et 1910 une situation qui était celle de l’Égypte ou de la Tunisie, et des procédures similaires.
La « crise vénézuélienne », en 1902, marque le passage, en Amérique, de l’hégémonisme européen à celui des États-Unis. Theodore Roosevelt mène la croisade, armée, contre ces débiteurs, au nom de tous les créanciers du Venezuela. Contemporaine de l’expédition contre les Boxers, dirigée par Guillaume II, cette intervention-ci s’effectue au nom de la doctrine de Monroe — mais surtout elle s’appuie, comme l’autre, sur des principes moraux. Car les États-Unis procèdent autrement que les Européens.
En Amérique « latine », les Anglais n’avaient donné aucun caractère moral ou idéologique à leur emprise économique. Certes, en Afrique ou ailleurs, ils disaient agir au nom de la civilisation, mais pas en Amérique « latine ». Là, ils faisaient du business, as usual , et ils se contentaient d’avantages concrets. Tulio Halperin Donghi a bien vu que les Américains, au contraire, veulent exporter leur puritanisme d’origine, cette exigence de vertu politique qui est à la source de leur indépendance, de leur révolution. Les Yankees voudraient amener les Sud-Américains à une « saine » gestion de leurs affaires : or, ce quiparaît être aux Latino-Américains une ruse hypocrite pour contrôler leur budget, leur pays, est en fait plus qu’une tactique : une vraie stratégie.
En effet, servant à justifier des avantages matériels bien évidents, le moralisme pédagogique a pour fin de perpétuer une relation de domination. Le maître demeure toujours le maître.
Au nom des principes, de la politique du « big stick » — du gros bâton —, de la doctrine Monroe, Theodore Roosevelt avait « libéré » Cuba (et les Philippines) de la domination espagnole. Au nom de leur
Weitere Kostenlose Bücher