Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
accords en bonne et due forme qui assuraient à la France ou à la Grande-Bretagne certains avantages ou monopoles — pétroles du Sahara, par exemple —, tandis que les anciennes colonies achetaient trop de tracteurs ou accroissaient leur production de café, au lieu de développer leurs cultures vivrières. On assistait là à la survie d’une sorte de pacte colonial.
Enfin, effet pervers de l’époque coloniale, l’adoption du principe de l’intangibilité des frontières instituées dans le passé est à l’origine de conflits tragiques, après l’indépendance, en Afrique noire notamment — Nigeria, Tchad, Cameroun, etc.
Un aspect, inverse, de ce type de relations héritées du passé a été le recours, par les métropoles, à l’ armée industrielle de réserve des pays du Tiers-Monde . L’importation de travailleurs immigrés, qui avait commencé durant les années trente du XX e siècle, connut un boom fantastique lors de la décolonisation, durant les années soixante. Dès qu’il est apparu, en France notamment, que la puissance du mouvement revendicatif des travailleurs métropolitains rendait aléatoires les succès du patronat et le maintien du taux de profit, et que l’on a observé la réticence de plus en plus grande des Français à accepter les besognes rebutantes, les gouvernements de l’époque de Gaulle-Pompidou ont laissé affluer une masse grossissante d’immigrés, au départ jeunes et célibataires, et par conséquent peu onéreuse à gérer. L’afflux de ces travailleurs a permis de détendre la situation sur le marché du travail et dereconstituer une armée industrielle de réserve plus fluide que la main-d’œuvre nationale. Au début des années soixante-dix, les ouvriers qualifiés étaient de 23,1 % pour les Tunisiens, 18 % pour les Marocains, 15,9 % pour les Algériens, 9,5 % pour les Noirs de l’ancienne Afrique française (cité in P. Souyri, La Dynamique du capitalisme au XX e siècle , p. 226). Il se crée ainsi une situation de type colonial dans la métropole elle-même où les Français se réservent la place de cadres, cols blancs, etc. Or, peu à peu, avec l’enracinement des immigrés venus des territoires d’outre-mer, des familles se sont constituées, ont crû, se sont multipliées — ce qui a alourdi le budget national alors qu’à l’origine la présence de ce prolétariat ne présentait que des avantages financiers.
Cet effet de retour de la colonisation se retrouve en Grande-Bretagne, où les Pakistanais et les Indiens ainsi que les immigrés des Caraïbes se sont aussi substitués au prolétariat anglais dans un certain nombre de secteurs de la production — les chemins de fer notamment —, mais où les élites ont pénétré le corps médical et d’autres services du Welfare State. Il se retrouve également en République de Russie, où les Coréens occupent les tâches subalternes dans la province de l’Extrême-Orient soviétique, constituant souvent une sorte de sous-prolétariat clandestin dénué de droits.
Le postcolonialisme et le néo-impérialisme ont croisé leurs effets avec la montée de l’hégémonisme américain lorsque, aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale et lors de la décolonisation, les Américains se sont substitués aux Européens dans les zones périphériques de leur ancienne domination : Arabie Saoudite, Iran, Caraïbes. Simultanément, les nouveaux États indépendants essayaient de se rendre maîtres, économiquement, des richesses de leur sol et de leur sous-sol encore contrôlées par des trusts ; et la politique de nationalisation suivie alors a multiplié des conflits qui ont, par contrecoup, secoué l’économie mondiale — par exemple, lors de la crise du pétrole en 1973.
Ne pouvant plus importer du Tiers-Monde une main-d’œuvre désormais « encombrante », les dirigeants del’économie occidentale ont rejeté une partie de leurs activités vers les réservoirs humains de la périphérie . Étant donné les hauts salaires pratiqués dans leur pays, les Américains avaient donné l’exemple en construisant un nombre croissant d’usines dans les anciennes colonies — Philippines, Singapour —, également en Corée du Sud, au Mexique, au Nigeria. Les Japonais les imitèrent les premiers, à Taïwan, Hong-kong, Singapour, puis les Allemands, en Amérique latine surtout, enfin les Français et les Anglais. Peu à peu, les pays ex-colonisateurs bénéficient
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