Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
et J. Gernet, in Forest , p. 34-46).
Les persécutions ont-elles été le fait d’une volonté d’ingérence des missionnaires dans les affaires du pays, d’un zèle évangélisateur qui a suscité des représailles, ou du changement de régime qui s’est opéré en Chine à l’époque des Ming ?
Selon le jésuite portugais Alvaro Semado, qui publia en 1643 à Rome une Relazione della grande monarcha della Cina , on peut répertorier 54 persécutions depuis 1583, date de l’entrée de Matteo Ricci en Chine, jusqu’au milieu du XVII e siècle. Ce qui donne une mesure qui vaut pour le XVIII e siècle, ou à peu près.
Dans la province de Fu-Jian par exemple, la persécution naît d’un conflit entre les missionnaires eux-mêmes. Installés les premiers, les jésuites estimaient que les cérémonies traditionnelles des Chinois en l’honneur de leurs ancêtres étaient tout à fait laïques, et que, par conséquent, les Chinois évangélisés pouvaient y participer. Au contraire, les jugeant « tapageuses » et sanglantes, et les assimilant à des superstitions, les franciscains et les dominicains les leur interdirent… Ainsi la rumeur courut que le christianisme ignorait le culte des ancêtres et ne respectait pas Confucius. Bientôt, un jeune converti ayant brisé latête d’une idole pour prouver son impuissance, une foule surexcitée marcha sur l’église, la dévasta et frappa le converti à coups de bambou. Les missionnaires durent évacuer leurs établissements de Fuan, les convertis abjurer, et les jésuites furent interdits de séjour à leur tour. Obstiné, le dominicain Diez était revenu sur la place de Fuan pour y déchirer l’inscription interdisant le christianisme. Mais le martyre fut pour un de ses coreligionnaires, Capillar, accusé par les autorités de susciter l’agitation, de s’opposer au culte des ancêtres et surtout de détourner les jeunes filles du mariage — en voulant constituer des communautés de religieuses. Capillar fut décapité le 15 janvier 1648.
Le problème des rites chinois était au cœur des querelles : en 1704, le pape Clément XI avait interdit aux chrétiens chinois d’assister à toute cérémonie traditionnelle. L’empereur de Chine décida alors de n’accorder le permis de séjour (yinpiao) qu’aux missionnaires qui ne s’y opposeraient pas… Mais les autres griefs demeuraient ; et notamment on accusait le christianisme de détourner des exigences de piété filiale, puisque des hommes et des femmes refusaient d’avoir des enfants — alors que pourtant on les rassemblait dans des communautés mixtes —, tout cela était contraire aux bonnes mœurs, d’autant que pour construire des églises ces Chinois convertis jetaient l’argent par les fenêtres… Les persécutions se développèrent, et les missionnaires entrèrent en clandestinité, cachés le plus souvent par des convertis à qui les autorités infligèrent d’horribles tortures, notamment le zanzi qui enserre les doigts entre cinq baguettes de bois liées par une corde sur laquelle on tire. Les femmes y résistèrent souvent, tandis qu’aux hommes on infligeait aussi le jiagun , qui coince les chevilles avec une planche sur laquelle on frappe avec un marteau… Il fallait dénoncer convertis et missionnaires. Le courage des persécutés souleva l’admiration et multiplia les adhésions…
A mesure que le temps passait, pourtant, il ne s’agissait plus seulement pour l’État de contrôler l’activité des missionnaires. En 1746, on les considérait comme des rebelles qui complotaient avec l’étranger. « Avez-vousl’intention de mettre la main sur la Chine pour la gouverner ? », demanda-t-on au catéchiste Guohviren avant de le pendre… (1746).
Une question prémonitoire…
Une question qui se posa, d’emblée, au Japon. Dans ce pays, la première rencontre avec l’Europe, du fait de l’arrivée des Portugais en 1543, fut synonyme de l’introduction des armes à feu. Cela modifia du tout au tout les conditions de la lutte pour le pouvoir dans cette période de guerre incessante : un seigneur de la guerre, Oda Nobunaga, en tira le meilleur profit, et Toyotomi Hideyoshi, son successeur, put ainsi y mettre fin. Pendant ces années-là, qui avaient suivi l’arrivée de saint François Xavier en 1549, le christianisme s’était développé comme il avait pu. Inspectant les missions en tant que visiteur du général de la Compagnie de Jésus, le père
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