Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
Noire » et mettait en garde l’opinion : après les détroits, la Russie chercherait à contrôler toute laMéditerranée, et c’en serait fait de la liberté des mers ; il fallait s’unir pour « provoquer l’explosion de tout le Caucase… Quand on pense que toutes les provinces de Géorgie n’attendent qu’un signal pour secouer le joug moscovite, que dans le Caucase des centaines de milliers d’habitants, braves et toujours armés, vivent dans une soumission simulée […] et sont prêts à tomber sur les Russes qui sont à leur portée » (cité in Lesure, ibid.) .
Paradoxalement, la guerre de Crimée eut des effets contraires à ses objectifs. Elle était la conséquence de ces inquiétudes, mais elle était due aussi à toutes sortes d’autres données, et notamment à la volonté de la Russie, au nom de la religion chrétienne orthodoxe, de procéder au démantèlement de l’Empire ottoman et à la libération des peuples slaves. Ni l’Angleterre ni la France n’entendaient la laisser faire et, la solidarité chrétienne mise de côté ainsi que la défense du droit des peuples à se libérer, elles s’étaient mises du côté de l’Empire ottoman — pour le sauvegarder, et peut-être avec l’idée de mieux le dépecer elles-mêmes. Victorieuses, les nations occidentales, une fois la poussée russe arrêtée, laissèrent s’affaiblir la puissance turque dans les Balkans, alors qu’elles étaient entrées en guerre pour la soutenir. Au moins, les détroits ne paraissaient plus devoir tomber aux mains des Russes…
Mais un enjeu plus essentiel opposait désormais la Grande-Bretagne et la Russie : la domination de l’Asie centrale et des confins de l’Inde. Double poussée, conflit inéluctable.
A quels objectifs répondait la poussée russe vers l’Asie centrale ?
La tradition marxiste jugeait que la première phase de cet impérialisme (1865-1885) était de nature militaro-féodale ; par la suite, les facteurs économiques jouèrent un rôle de plus en plus grand.
Sur la première poussée, il semble bien que les facteurs économiques intervinrent peu et qu’ils furent le résultat d’une action greffée par l’État tsariste afin de créer des conditions favorables au commerce russe dans les khanats, mais qui ne fut pas suivie par les intérêts privés. Ainsi, alors que les accords avec les khanats datent de 1867 (Khodjent)et de 1873 (Khiva), le développement de la culture du coton par les Russes ne commença que vers 1890. Plus qu’une pression des milieux d’affaires intervint la peur du tsarisme que ces khanats soient trop faibles pour s’imposer comme États indépendants et que la région ne tombe sous influence étrangère — celle des Ottomans par exemple ; et c’est pour cela qu’il fallait se saisir de ces territoires préventivement. Ce fut ainsi la volonté de tenir à distance les étrangers, de préserver l’isolement de ces régions qui fut à l’origine de leur annexion, car il apparut très vite aux ministres Giers et Cherniaiev que le bilan de cette occupation était économiquement contre-productif.
Tenir à distance : ainsi s’expliquent aussi le maintien, jusqu’en 1910, du veto de Saint-Pétersbourg à la construction d’un chemin de fer en Perse, un projet anglais ; le refus d’une connexion entre le projet du chemin de fer de Bagdad, anglais aussi à ses origines, avec le Caucase et l’accord Scott-Muraviev en 1899, aux termes duquel la Russie obtenait de l’Angleterre de ne pas construire de chemins de fer, ni l’aider à un quelconque projet dans la région frontalière russo-chinoise.
La Russie essayait de s’installer économiquement dans des zones tampons, la Perse surtout, la Mandchourie bientôt, mais son commerce progressait peu, comparé à celui des Anglais dans le premier cas, des Japonais dans le second, parce que le business russe suivait mal. Il ne réussissait un peu mieux que dans l’Empire ottoman (Anatolie et Kurdistan), en Sinkiang surtout, en Perse aussi où l’Allemagne faisait son « entrée », et en Afghanistan où le commerce russe tripla, atteignant 38 % des importations de Kaboul — contre 62 % pour les Anglais en 1914. C’est à propos de ce pays que les grands conflits anglo-russes éclatèrent…
En 1872 et 1873, le tsar avait affirmé que l’Afghanistan était hors de sa « sphère d’influence ». Lorsque, depuis l’Inde ; les Anglais, « pour tenir les Russes à distance »,
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