Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
police, deux villes qui se haïssent ou qui s’ignorent. Frantz Fanon les a décrites dans Les Damnés de la Terre : « La ville du colon est une ville en dur, toute de pierres et de fer. C’est une ville illuminée, asphaltée, où les poubelles regorgent de restes inconnus, pas même rêvés. Les pieds du colon ne sont jamais aperçus, sauf peut-être à la mer. Des pieds protégés par des chaussures solides, alors que les rues de leurs villes sont lisses, sans trous ni cailloux… La ville indigène est un lieu mal famé… C’est une ville affamée, de viandes, de chaussures, de lumière. C’est une ville accroupie, une ville de bicots… »
« Le regard que le colonisé jette sur la ville du colon est un regard de luxure, un regard d’envie. Rêves de possession : s’asseoir à la table du colon, coucher dans le lit du colon, avec sa femme si possible. Le colon ne l’ignore pas. “Ils veulent prendre notre place.” C’est vrai. Il n’y a pas un colonisé qui ne rêve au moins une fois par jour de s’installer à la place du colon. »
Seules les relations de travail intervenaient dans leur échange — à part l’école, l’hôpital ou l’armée. « Les Arabes, ils n’étaient bons que pour faire les manœuvres ou toutes sortes de corvées, ou alors travailler comme docker, comme porteur… Un jour, le maire d’Alger, il est venu et il a demandé qui avait fait ce travail. Le chef des machines monte et me dit : “Il y a le Maire qui vient te féliciter, habille-toi.” J’ai refusé et je suis resté en habit de travail.Et je suis descendu, il y avait le Maire. Je les vois toujours devant moi, ces cloches-là. Il y avait toute la smala, toute la commission comme ils disent. Alors, il me dit : “C’est vous qui avez fait ce travail, je tiens à vous féliciter.” “A force d’entendre les félicitations, les poches sont pleines, elles débordent.” Il dit : “Qu’est-ce que cela signifie ?” Je réponds : “C’est qu’on est mal payé. Vous avez ici des pères de famille qui gagnent 40 F par jour. Je me fous des félicitations, ce qui compte, c’est le bifsteak” » (« Un Arabe raconte sa vie », Socialisme ou Barbarie , 1959).
Comme on disait, « salaire d’Arabe ».
A U M AROC ET EN A LGÉRIE
L’esprit de la colonie n’a pas été le même, du moins en principe, en Algérie et dans les deux protectorats. La première était conçue comme une prolongation de la métropole, avec ses 3 départements, avec en moins, pour les Arabes, les avantages sociaux, les droits politiques, etc. Les seconds devaient mettre sur pied une libre association avec la France. « Les Français, disait Lyautey, apportent une organisation administrative supérieure, les ressources d’une civilisation plus avancée, des moyens matériels permettant de mieux tirer parti des ressources du pays, et la force qui garantit contre l’anarchie ; l’Autre, à l’abri de cette protection tutélaire, gardant son statut, ses institutions, le libre exercice de sa religion, développant ses richesses dans l’ordre, et en paix. »
Mais, même si cet esprit de Lyautey, volontiers revendiqué par les Français, ne s’est pas perpétué, il a eu pour effet néanmoins de faire naître au Maroc, voire en Tunisie, des rapports entre colons et indigènes assez différents de ceux qui se sont instaurés en Algérie.
En premier lieu, l’esprit de la conquête s’est perpétué plus tardivement au Maroc qu’ailleurs puisque, plus de dix ans après la guerre du Riff, il existait encore des zones insoumises, en Haut-Atlas ; les grandes sociétés faisaient appel à l’armée pour mieux assurer la sécurité de leurs convois. Cette « pacification » s’est heurtée à des tribus guerrières, survivance du Siba, et les opérations de « pacification » n’ont pas nécessairement toutes disconvenu au Sultan, qui en faisait l’économie, ou encore à certaines populations victimes des montagnards sédentaires. Le film de l’épopée coloniale n’a pas manqué de faire valoir cet aspect de la « pacification » ; c’est au Maroc que se situe l’action des plus célèbres : La Bandera, Le Grand Jeu, Itto, Le Roman d’un spahi , etc.
L’arrivée massive de colons qui, en Algérie, avaient occupé les meilleures terres, ou supposées telles, et repoussé les indigènes ailleurs, a été le trait qui, dès l’origine, a différencié ce pays des deux autres.
Cette
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