Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
colons, les indigènes n’en recevant que les miettes ; la plupart des chemins de fer, des routes…, desservaient par priorité les intérêts du colonisateur : les mines, les ports, etc. Sans doute, en 1958, le Plan de Constantine a été un immense effort conçu par la métropole en faveur des indigènes, d’eux seuls pour l’essentiel. Mais ce projet, tardif, a été mis sur pied une fois l’irréparable accompli…
Néanmoins, l’exemple européen a largement stimulé les fellahs, au Maroc comme en Tunisie et en Algérie ; ils avaient commencé, au début des années cinquante, à s’équiper, à participer plus activement au marché. L’interpénétration n’était plus à sens unique.
Mais naturellement, plus que tout, ont été appréciés les hôpitaux et les écoles. Les écoles en premier lieu, parce qu’elles constituaient le droit d’entrer dans un monde meilleur, qu’elles s’identifiaient au progrès. Toutefois, comme le disait un gouverneur, « ces écoles permettent d’aller jusqu’à la gare, mais ensuite les Arabes n’ont pas le droit de prendre le train ». De fait, au Maroc, en 1952, sur 706 médecins, il y avait 11 Marocains, et un seul architecte sur plus de 200 Européens ; la proportion était plus élevée en Algérie et en Tunisie, mais ces chiffres donnent une mesure. Un bon quart des fonctionnaires étaient musulmans, mais demeurés dans des grades subalternes. « Moi, disait le directeur de la Grande Poste d’Oran, je ne tolérerai pas d’avoir un Arabe sous mes ordres, c’est-à-dire chef de service. » Il eût été hors de question d’obéir à un Arabe. Pour un corps de plusieurs centaines de membres, il y avait en tout et pour tout un seul sous-préfet arabe, en 1954.
Évidemment, ce problème était central. Car de nombreux musulmans étaient passés par l’école française, et ils se trouvaient rejetés après coup des espérances que donnait un diplôme, un vrai. Seule l’éducation nationale s’est montrée relativement accueillante : il existait un assez grand nombre d’instituteurs et de professeurs musulmans dans les établissements publics, au moins dans l’école laïque et les lycées. Mais, pour la forte majorité de ceux qui n’avaient pas pour vocation d’enseigner, la désillusion a été cruelle, car, à l’école, les maîtres étaient le plus souvent amicaux et compréhensifs, comme en témoigne le film de Mohammed Lakhdar Hamina, La Dernière Image ; ils donnaient volontiers un coup de pouce aux examens aux élèves doués, mais qui avaient du mal à s’exprimer en français.
Seuls les Juifs, premiers assimilés, et d’abord en Algérie grâce au décret Crémieux, mais aussi en Tunisie et au Maroc, avaient complètement accepté la civilisation française, identifiée au progrès, aux Lumières. Ils en ont aussi bénéficié, s’intégrant, sauf ceux qui voulaient demeurer juifs avant tout, aux autres pieds-noirs, espagnols, italiens ou métropolitains d’origine. Ceux qui sont demeurés au mellah, le quartier juif, sont aujourd’hui partis en Israël bien que beaucoup, au Maroc où le roi les protège, soient restés. En revanche, ceux qui avaient quitté le mellah, franchi le boulevard ou la rue, se sont complètement occidentalisés et ils sont désormais, en France, des citoyens comme les autres. Surtout les jeunes femmes juives ont pu, grâce à la colonisation, s’émanciper. Mais les autres femmes ? (cf. ici et ici ).
F RUSTRATION DES ÉLITES ET RACISME ORDINAIRE
Ce problème des élites non satisfaites s’est posé assez exactement dans les termes que les grands colonisateurs avaient craints. Ses données devinrent conflictuelles dès que fut abordé le problème du pouvoir. « Vous avez pris en tutelle un enfant en bas âge ; on était en 1912. Il portait un vêtement correspondant à sa taille. L’enfant a grandi, il porte toujours le même vêtement. » En Algérie, oùsurvivait le mythe des départements français, le maintien d’un régime politique inégal a été d’autant plus mal ressenti que, pendant les deux guerres, les musulmans avaient fait leur devoir et avaient fait confiance au discours des hommes d’État qui, en métropole, avaient promis l’égalité, l’intégration.
Comme l’Algérie n’avait pas, lors de sa conquête, des structures politiques aussi solides que le Maroc ou la Tunisie, la résistance est passée, certes, par les partis politiques, mais autant par
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