Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
Gilberto Freyre dépassait le cadre du monde de la politique : elle pénétrait les milieux culturels, universitaires de l’Occident tout entier, élargissant l’aire du « miracle » brésilien à tout le monde lusitanien. Quand il publie, en 1940, O mundo que o Portuguez criou (Le monde que le Portugal a créé), il juge qu’il n’y a pas qu’au Brésil que les Portugais ont su créer une civilisation nouvelle, mais partout où ils sont passés : en Inde, à Timor, en Afrique.
Sans doute, dès 1955, Mario Pinto de Andrade critiqua vivement ce lusotropicalisme, estimant qu’il s’agissait d’un mythe. Le vérifier n’est pas aisé, car il arrive que les mythes disposent souvent d’une plus grande force de vérité que le réel.
L ’ A NGOLA , PREMIÈRE COLONIE PÉNITENTIAIRE
Certes, le départ aux Amériques, aux Indes, en Afrique fut pour beaucoup une aventure : la fortune pouvait être au bout du voyage, et pour le moins une autre existence — ou la mort.
Mais cette émigration ne fut pas, en toutes circonstances, libre et spontanée. Le voyage en outre-mer fut souvent un exil, semi-volontaire lorsque la nécessité en était à l’origine. Dans le cadre britannique on pense aux Pères Pèlerins, aux catholiques irlandais, partis dès le XVII e siècle. Mais cet exil fut aussi un bagne, plus qu’un envoi aux galères.
Les Portugais furent les premiers à vouloir se débarrasser des criminels, des délinquants en les envoyant purger leur peine ailleurs, un exemple que l’Angleterre imita, à uneéchelle géante — avec ces « convicts » qui peuplèrent l’Australie à partir de 1797.
Cette idée vint aux Portugais les premiers et bien avant que Barthélemy Diaz ait atteint le cap de Bonne-Espérance : dès 1415, après la première conquête de Ceuta, chaque navire qui partait explorer les côtes d’Afrique comptait son contingent de degredados , la première loi sur cette pratique datant de 1434. Dès 1484, les premiers établissements permanents, Principe, Sao Tomé et Sao Martinho furent ainsi peuplés de délinquants… et de Juifs, une pratique qui, pour les premiers au moins, devint systématique avec les établissements en Angola. Plus exactement, dès le XVII e siècle, ce furent presque exclusivement des délinquants qui peuplèrent ce pays, ce qui influa sur la mise en valeur de la colonie ainsi que sur les rapports avec les indigènes.
Furent également déportés en Angola les jésuites, à l’époque du marquis de Pombal, autour de 1750, mais leur petit nombre ne leur permit pas d’avoir une influence sur la vie de la colonie. De sorte que la réputation de la colonie était telle qu’il fut difficile et long d’y faire venir des immigrants libres : la ville de Luanda était aux mains des truands, disait-on, ce qui n’était pas complètement faux ; car, à la différence des convicts envoyés par les Anglais en Australie, les degredados étaient bien de vrais criminels, souvent endurcis, et que le gouverneur ne voulait pas armer — en cas de guerre avec les indigènes. Au point qu’il préférait disposer de troupes africaines, à la fois pour combattre les tribus insoumises ou, éventuellement, pour tenir à bonne distance les délinquants. De toute façon, à peine armés, ceux-ci désertaient.
De sorte que, jouant le rôle d’une colonie colonisatrice, ce fut le Brésil qui envoya en Angola les plus forts contingents d’immigrants blancs : ceux-ci arrivaient de Pernambouc où, depuis l’insurrection de 1847-1848, la sécurité ne régnait plus, et les nouveaux immigrés avaient ainsi choisi de se rendre en Angola où ils développèrent la culture de la canne, ruinée dans le nord-est du Brésil. Il est vrai que, depuis longtemps déjà, l’Angola était dans la dépendance économique des Brésiliens : dès 1781, leministre Martinho de Melo e Castro s’en plaignait, jugeant que le commerce et la navigation échappaient entièrement au Portugal, « car ce que les Brésiliens ne contrôlent pas est aux mains des étrangers », c’est-à-dire la traite qui avait vidé le pays.
Or, à la fin du XIX e siècle encore, les délinquants tenaient toujours le haut du pavé : « Il n’est pas possible de maintenir sur place, ou dans l’intérieur, le moindre groupe de colons, et encore moins d’installer des degredados… Il faudrait une force armée indigène, mais assez nombreuse pour inspirer le respect. »
Dans ces conditions, lorsque
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