Histoire du Consulat et de l'Empire
domaine et l'essentiel des terres. Dans d'autres cas, les biens avaient été acquis par un prête-nom, puis rendus à leurs propriétaires. Enfin, après leur retour, certains nobles disposant de liquidités purent racheter leurs anciennes propriétés à des acquéreurs satisfaits d'avoir réussi une belle spéculation foncière, sans avoir eu à entretenir leurs acquisitions. On estime que la noblesse a récupéré, sous l'Empire, le quart des biens perdus sous la Révolution. La noblesse ne possède plus 20
à 25 % des terres comme en 1789, mais son emprise sur le sol reste forte. Les fortunes aristocratiques reconstituées expliquent que les nobles figurent souvent au premier rang sur les listes de notabilités.
Ils réinvestissent leurs châteaux à la campagne, meublent à nouveau leurs hôtels particuliers du faubourg Saint-Germain à Paris ou des principales villes de province. Le gouvernement a très tôt pris conscience de l'influence de cette classe sur la population. L'abolition des droits féodaux n'a pas supprimé tous les liens de dépendance des paysans à l'égard de leurs anciens seigneurs. Dès lors, le 177
LA NAISSANCE D'UNE MONARCHIE (1804-1809)
pouvoir se tourne avec prédilection vers ces hobereaux pour en faire les maires des petites communes rurales où il est parfois bien difficile de trouver un habitant suffisamment lettré pour en tenir le rôle. De même, au niveau national, le régime invite la noblesse à le rallier, en envoyant ses fils dans les lycées récemment établis, avant de les faire entrer soit dans l'armée, soit dans l'administration, au Conseil d'État, par exemple. Napoléon entend donc s'appuyer sur l'ancienne aristocratie, mais il ne souhaite la rétablir ni dans ses droits ni dans ses privilèges. En revanche, il envisage de l'intégrer à la nouvelle noblesse qu'il fonde pour permettre de distinguer une élite au sein du monde des notables.
La création de la noblesse d'Empire en 1808 a été fort critiquée, notamment par les nostalgiques de la Révolution qui y voyaient une atteinte aux principes de 1789 et le rétablissement d'un ordre éteint.
En réalité, l'évolution du régime depuis 1804, avec l'instauration d'une Cour de plus en plus développée et la création des dignités impériales, conduisait à cette fondation. Napoléon franchit le pas le 1 er mars 1808 en instituant un nouveau corps qui, contrairement à la noblesse d'Ancien Régime, ne confère aucun privilège et ne produit aucun revenu. Considérée parfois comme une erreur dans la stratégie impériale, la noblesse a rencontré un certain engouement, dès l'époque de sa création. C'est pourquoi Napoléon décide d'en multiplier les membres, alors qu'en 1807, il envisageait de limiter à cinq cents le nombre des nouveaux titrés. La demande sociale est forte, comme l'exprime Cambacérès en avril 1808 : « De toutes parts l'on demande des titres à Votre Majesté, ou du moins l'on consulte, si l'on peut se présenter, afin d'en obtenir 5. » En cette première année, quatre cents demandes d'accession au titre de chevalier sont refusées, tandis que cinq cents sont acceptées. Le conseil du Sceau des titres, créé pour l'occasion, doit examiner avec vigilance les demandes pour éviter l'inflation des titres.
La noblesse d'Empire est donc avant tout une distinction qui s'acquiert, non par la naissance, mais par les services rendus à l'État.
Elle récompense le mérite. En ce sens, elle parachève l'édifice social sur lequel l'Empereur a voulu fonder son régime. « Tous les genres de mérite y parvenaient, rapporte Napoléon à Sainte-Hélène ; aux parchemins, je substituais les belles actions, et aux intérêts privés, les intérêts de la patrie. Ce n'était plus dans une obscurité imaginaire, dans la nuit des temps, qu'on eût été placer son orgueil ; mais bien dans les plus belles pages de notre histoire 6, » Cette noblesse est néanmoins hiérarchisée, puisqu'elle comprend cinq grades principaux : à la base les chevaliers, puis les barons, les comtes, les ducs et enfin les princes. Certaines fonctions confèrent automatiquement la noblesse, même s'il faut en principe faire une demande pour l'obtenir ; ainsi les ministres, sénateurs et conseillers d'État sont faits comtes, les premiers présidents de la Cour de cassation et de la Cour des comptes, les présidents de collèges électoraux ou les 178
LES BASES SOCIALES DU RÉGIME
maires des grandes villes
Weitere Kostenlose Bücher