Histoire du Consulat et de l'Empire
l'occasion de la Révolution, il reprend ses activités et profite de la dépréciation des assignats pour s'enrichir. En 1794, il décide de s'associer à un autre négociant en toiles, Jean Lenoir, natif d'Alençon.
Au commerce, les deux hommes joignent la spéculation sur les biens nationaux, grâce à laquelle ils bâtissent une fortune considérable et se lancent dans l'industrie textile. À la mort de Lenoir en 1806, Richard adopte le patronyme de son associé et continue sa marche en avant ; ses bénéfices annuels sont alors évalués à 1,5 million de francs. Il ne joue aucun rôle politique majeur, refusant les charges qu'on lui offre, sans doute conscient du faible poids qu'il pourrait représenter dans les assemblées locales, au regard de ses activités manufacturières. Ce modèle d'ascension sociale dans lequel se combinent l'esprit d'entreprise et la spéculation favorisée par les temps révolutionnaires reste rare.
Le socle de la France napoléonienne est constitué par les notables traditionnels dont la fortune est ancienne et assise sur le sol, plutôt que sur les hommes dont l'aisance est récente et fondée sur l'essor industriel ou la spéculation. C'est ce qui ressort en particulier de l'étude des listes établies par le pouvoir pour former les collèges d'arrondissements et de départements, appelés à désigner les membres des assemblées. Les listes établies à travers le territoire, en puisant parmi les six cents habitants les plus imposés de chaque département, permettent de dégager une élite d'environ soixantedix mille personnes. Le découpage départemental explique la présence d'une assez nette variété de fortunes dans cet ensemble. On peut être un notable avec cinq cents à mille francs de revenus annuels dans un département pauvre et rural. Mais le type dominant de ces notables est le bon bourgeois qui dispose de deux mille à cinq mille francs de revenus
cette catégorie comprend
aussi bien les membres des professions libérales, la plus grande partie des fonctionnaires, des négociants, que la masse des propriétaires rentiers, retirés des affaires, dont la fortune est assise sur la terre. Plus de la moitié de ces notables sont en effet des rentiers du sol ; ce sont eux les principaux bénéficiaires de l'achat des biens nationaux. Enfin, au sommet de la hiérarchie, se retrouvent les for-176
LES BASES SOCIALES DU RÉGIME
tunes les plus importantes, celles qui produisent un revenu supérieur à cinq mille francs. On entre alors dans le monde des grands notables qui associe de grands propriétaires fonciers, des manufacturiers, mais aussi de hauts fonctionnaires : préfets, receveurs généraux, hauts magistrats et, bien sûr, ministres et sénateurs.
C'est sur cette base sociale, qui représente somme toute moins de 0,5 % de la société impériale, que le régime entend s'appuyer. Ce sont en effet ces soixantedix mille notables qui détiennent le faible pouvoir électif dévolu au peuple ; ils représentent finalement un groupe un peu plus mince que le corps électoral de la monarchie censitaire, avec lequel on peut les comparer. En effet, Napoléon a voulu, en favorisant l'émergence de cette élite, fonder son régime sur les possesseurs du sol et les détenteurs de la respectabilité. Reste à savoir dans quelle mesure cette nouvelle classe reproduit ou non l'ancienne élite. On ne peut pas parler de bouleversement dans la hiérarchie sociale du premier XIXe siècle. Les élites d'Ancien Régime se sont largement retrouvées dans les élites impériales. Toutefois, une certaine ascension sociale est perceptible, par exemple parmi ceux qui étaient propriétaires exploitants ou commerçants en 1789 et qui ont conquis, au sortir de la Révolution, un statut plus élevé. La décennie révolutionnaire a permis ce type d'ascension, rendue particulièrement manifeste par le cas des fournisseurs aux armées ou de certains entrepreneurs. Le monde des notables s'est donc ouvert, au gré de la Révolution, mais la porte reste étroite vers les sommets de la hiérarchie sociale.
Dès lors, il est presque naturel de retrouver, parmi les plus grosses fortunes de l'époque, les membres de l'ancienne aristocratie. Les mesures de clémence prises par Bonaparte, à partir de 1800, ont permis le retour d'émigrés d'origine noble de plus en plus nombreux. Tous n'avaient pas eu leurs biens confisqués. Un membre de la famille resté en France avait pu conserver le
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