Histoire du Consulat et de l'Empire
d'autres villes jugées moins remuantes, des troubles sérieux se développèrent, par exemple à Rennes et à Charleville, où des émeutes éclatent. À Caen, la crise du textile conduit les deux tiers des ouvriers au chômage, tandis que le prix du kilogramme de pain atteint son maximum, en février 1812. Cette annonce provoque une émeute dans la halle aux grains le 2 mars. Un moulin et un magasin de grains sont attaqués, la maison d'un marchands de grains est pillée, ainsi que des péniches à quai dans le port. Les émeutiers réclament du pain, mais ils s'en prennent également aux autorités, insultant notamment le préfet.
Le mouvement se prolonge pendant plusieurs jours. Des rumeurs 340
LE DÉVELOPPEMENT D'UN ÉTAT AUTORITAIRE
circulent. On murmure que Napoléon serait mort, on évoque d'existence de troubles similaires dans d'autres villes, comme le rapporte le préfet du Calvados, le 14 avril : « On répand ici la nouvelle de séditions très graves à Amiens et à Lyon ; dans cette dernière ville, le peuple aurait désarmé la troupe et tiré le canon sur elle. » Ces bruits maintiennent la population dans un état de tension extrême.
Cette crise survenue à Caen, au printemps de 1812, et qui par certains côtés s'apparente à une révolte frumentaire classique, inquiète les pouvoirs publics. Au sommet de l'État, on redoute en effet que l'émeute sociale ne débouche sur des revendications politiques.
Certes, la critique de l'État est l'une des constantes de ce type de révolte de la faim ; elle n'en est pas moins dangereuse pour le gouvernement qui décide de pratiquer une répression sévère. Celle-ci doit servir d'exemple, afin d'empêcher la contagion du mouvement.
La Garde impériale est dépêchée sur place et procède à de nombreuses arrestations, tant dans les milieux jacobins que dans les rangs royalistes. Une cour martiale est réunie pour juger les émeutiers ; huit d'entre eux sont condamnés à mort, dont cinq femmes.
Neuf autres sont condamnés aux travaux forcés. Les femmes ont été particulièrement actives dans cette révolte, marquant leur désapprobation face à un régime qui affame le peuple et lui prend ses fils.
Les conscrits sont également au cœur de l'action. Les racines politiques du conflit sont évidentes, ce que le pouvoir a bien compris.
Les émeutes de Caen témoignent de l'impopularité d'un régime désormais incapable de nourrir le peuple, malgré la remise en honneur, au début de 1812, des soupes populaires distribuées aux plus pauvres.
Ainsi, l'annonce des premiers désastres militaires, à la fin de 1812, tombe sur une population dont la confiance a été entamée. La crise économique, la pression grandissante que font peser sur le pays les levées d'hommes, le poids des impôts, contribuent à fragiliser une opinion qui s'était habituée, dans la première décennie du siècle, à conjuguer victoires militaires et prospérité économique. Or, ni le renforcement de l'autorité ni la répression policière ne suffisent à rétablir une confiance également ébranlée par les conséquences de la crise religieuse.
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La crise du sacerdoce et de l'Empire
Bonaparte avait fondé l'édification de son reglme sur la paix religieuse. Les fissures qui apparaissent dans cette construction, dès les années 1808-1810, ne cessent de s'approfondir. En affaiblissant le pouvoir du pape, Napoléon ébranle les bases de sa propre autorité.
De ce point de vue, la crise religieuse qui secoue l'Empire à partir de 1809 joue un rôle crucial dans l'évolution du régime napoléonien.
1. LE CONFLIT ENTRE NAPOLÉON ET PIE VII
Les sources du contentieux entre Napoléon et Pie VII sont lointaines. L'accord entre les deux hommes n'a jamais été parfait. Si le pape a accepté le texte final du Concordat, il n'a, en revanchç, pas admis les Articles organiques qui limitaient les pouvoirs de l'Eglise de France. En fait, lorsqu'il vient à Paris, en décembre 1804, pour sacrer Napoléon, il espère bien obtenir en retour la suppression de ces Articles organiques. Il n'y parvient pas. D'autres motifs d'irritation s'ajoutent à ces premières causes de tension. Bonaparte avait en 1803 imposé à ce qui formait alors la république d'Italie un Concordat calqué sur le modèle français. Le pape n'avait pu s'y opposer, mais son ressentiment à l'égard de ce nouveau coup de force restait grand. Il refusa du reste d'être présent à Milan pour le
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