Histoire du Consulat et de l'Empire
exemple au moment des plébiscites auxquels les soldats participent par régiment, ce qui empêche l'émergence d'une opinion contraire. Toutefois des groupes d'opposants se forment au sein de l'armée, des tentatives de putsch s'y développent, comme, en 1802, la conspiration dite des « libelles » ou des « pots de beurre ». Cette conjuration a été étouffée dans l'œuf par la police de Bonaparte ; elle n'en révèle pas moins la présence de foyers d'opposition dans l'armée. Le complot est éventé par la découverte en mai 1802, au fond de pots de beurre, de libelles adressés à des officiers supérieurs, les appelant à se tourner contre Bonaparte. On pouvait y lire : « Un tyran s'est emparé du pouvoir, et ce tyran quel est-il ? Bonaparte ... Formons une fédération militaire ! Que nos généraux se montrent, qu'ils fassent respecter leur gloire et celle des armées. Nos baïonnettes sont prêtes. Qu'ils disent un mot et la République est sauvée ! » Le complot était parti de l'Ouest où l'armée rassemblée dans la perspective de la guerre contre l'Angleterre avait été démobilisée. Plusieurs régiments devaient quitter la région. Certains officiers étaient déjà à Paris, à l'image de Bernadotte qui venait d'en abandonner le commandement et qui fut impliqué dans le complot, sans toutefois de preuve tangible. À Rennes, le général Simon avait accepté de prendre la tête de la rébellion. Arrêté, il dénia la participation de Bernadotte au complot et fut écarté de l'armée jusqu'en 1809, mais aucun procès ne fut organisé. La conjuration intervient au printemps de 1802, à un moment crucial pour l'armée. Celle-ci doit faire face à la paix d'Amiens qui la prive de terrain d'action. Elle est de plus confrontée à la ratification du Concordat en avril, puis au passage au Consulat à vie, discuté dès le mois de mai. Les éléments républicains de l'armée ne peuvent se satisfaire de cet état de fait, mais Bonaparte sait étouffer leurs revendications. La création de la Légion d'honneur, en mai 1802, vient à point pour apaiser les rancœurs d'une armée démobilisée par la perspective de la paix. En 1802, la cause jacobine a donc vécu. Mais il reste encore des républicains dans l'opposition à Bonaparte ; ils figurent notamment dans les rangs libéraux.
2. DES LIBÉRAUX DIVISÉS
Le libéralisme ne forme pas, sous le Consulat, une famille unie.
C'est pourquoi, bien qu'étant l'héritier de l'esprit de 1789, il ne peut constituer un rempart solide face à l'affermissement du pouvoir per-92
LA LUTTE CONTRE LES OPPOSITIONS
sonnel, �t ce d'autant que bon nombre de libéraux ont approuvé le coup d'Etat du 18 brumaire. C'est le cas en particulier des Idéologues.
Ce groupe a traversé la Révolution en affirmant son souci d'éviter les excès. Son influence grandit sous le Directoire jusqu'à devenir le pivot de la conjuration du 18 brumaire. Principaux soutiens de Bonaparte, les Idéologues en espèrent alors la sauvegarde de la République et le respect de la liberté. Ils sont bientôt déçus par les premières mesures du régime, mais leurs tentatives d'opposition, au sein des assemblées où ils sont entrés nombreux, se révèlent vaines.
Ils n'en conservent pas moins une grande fidélité à leurs principes.
C'est en 1801 que Destutt de Tracy publie ses Éléments d'idéologie, ouvrage longuement mûri puisqu'il l'avait partiellement rédigé dans les prisons de la Terreur ; il devait servir de référence et de nom de baptême au groupe des Idéologues. Destutt y définit son projet d'étudier l'intelligence humaine « comme l'on observe et l'on décrit une propriété d'un minéral ou d'un végétal, ou une circonstance remarquable de la vie d'un animal ». L'idéologie est donc à ses yeux une « partie de la zoologie ». Son but est de bien connaître « la marche de l'intelligence humaine ». Les Idéologues ont en effet foi dans le progrès universel et placent toute leur confiance dans l'éducation comme moyen de parvenir au bonheur de l'humanité. Les travaux de l'Institut relayés par l'enseignement dans les écoles centrales, fondées en 1795, comme à l'École normale, participent de cet engouement pour l'éducation qui est un des traits caractéristiques de ce groupe. Elle est pour eux la garantie de la libération de l'homme à l'égard des dogmes religieux dans lesquels les Idéologues ne voient que superstition. Si certains restent déistes, tel
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