Histoire du Consulat et de l'Empire
l'ancien oratorien Daunou, tous sont hostiles à l'emprise du catholicisme sur la société française, à la fois parce qu'il symbolise l'alliance du trône et de l'autel et parce qu'ils voiÏent en lui l'incarnation de l'obscurantisme. La foi dans la raison, héritée de la philosophie des Lumières, est martelée par Destutt. Dans la préface des Éléments d'idéologie, il s'en prend à mots couverts à Bonaparte qui avait taxé les Idéologues de « métaphysiciens », mais aussi à ses partisans, naguère jacobins et qui, à l'époque de la Terreur, considéraient les Idéologues comme trop modérés : « C'est ainsi que l'on a vu des hommes, novateurs effrénés, coiffés d'un bonnet rouge, accuser les philosophes d'être des réformateurs timides et des amis froids du bien de l'humanité, qui maintenant les accusent d'avoir tout bouleversé, et, en conséquence, travaillent sans relâche à renverser encore les institutions utiles que ces mêmes philosophes sont parvenus à conserver ou à établir au milieu des murmures et des proscriptions 4. » Destutt vise en la circonstance les projets cherchant à remettre en cause l'œuvre de la Révolution, à laquelle les Idéologues restent profondément attachés.
Fidèles à l'esprit de 1789, républicains, les Idéologues ne sont pas 93
LA RÉPUBLIQUE CONSULAIRE (1799-1804)
pour autant des démocrates. S'ils sont attachés au principe de souveraineté populaire, ils se méfient du suffrage universel et lui préfèrent un système censitaire qui inspire l'établissement des listes de notabilités en l'an VIII. En cela, ils sont bien représentatifs du courant libéral qui s'épanouit au XIXe siècle. De 1789, ils retiennent surtout la défense de la liberté et la lutte contre l'arbitraire, d'où le divorce croissant avec Bonaparte. « Le but de l'homme est l'accroissement de la liberté », rappelle Destutt de Tracy. Les libéraux partagent aussi le souci d'une plus grande liberté du commerce, nécessaire au développement de l'économie. Jean-Baptiste Say, autre Idéologue éminent, défend, dans son Traité d'économie politique, publié en 1803, l'abolition des frontières entre États, après avoir décrit dans Olbie, au début du Consulat, les traits de la cité idéale, fondée sur la morale et sur une plus grande solidarité des plus riches à l'égard des plus pauvres. C'est ce que Volney avançait déjà, dans un ouvrage publié en 1791, Les Ruines. Méditations sur la grandeur et la décadence des Empires. L'influence de ce livre, plusieurs fois réédité, est ensuite considerable. La Révolution lui paraît permettre l'avènement d'une nouvelle société, fondée sur les deux principes que constituent l'égalité et la liberté. « L'égalité et la liberté sont donc les bases physiques et inaltérables, écrit-il, de toute réunion d'hommes en société, et par suite, le principe nécessaire et régénérateur de toute loi et de tout système de gouvernement régulier. » Les Idéologues restent globalement fidèles à cette devise et ne peuvent donc voir qu'avec réserve l'orientation du Consulat, même si leurs moyens d'action sont de plus en plus limités pour faire face à la montée du pouvoir personnel.
En dehors des assemblées, ils continuent à se rencontrer, notamment dans les salons. Jusqu'à sa mort en 1800, c'est dans le salon de Mme Helvétius, la veuve du philosophe disparu en 1771, que la plupart de ces hommes se retrouvent. On y croise notamment Volney, Garat ou Ginguené et surtout Cabanis et Destutt de Tracy qui en sont les piliers. Tous deux s'installent du reste à Auteuil auprès de Mme Helvétius, de même que Daunou. Après la mort de Mme Helvétius, c'est chez Destutt que se tiennent les réunions du groupe. À
Auteuil, vit aussi Mme de Condorcet dont le salon accueille nombre d'Idéologues. Il est plus ouvert et reçoit notamment Jean-Baptiste Say, Andrieux, Chénier ou encore Dupuis, l'auteur de De l'origine des cultes, dont l'élection comme président du Corps législatif est perçue comme un affront à la politique ecclésiastique de Bonaparte.
On y vit même Benjamin Constant. Mme de Condorcet accueille également Mailla-Garat, introduit par son oncle Garat, un habitué du cercle de Mme Helvétius. Mailla-Garat devient bientôt l'amant de Mme de Condorcet. Les liens entre les deux salons étaient nombreux et furent même renforcés par le mariage de Cabanis avec la fille de Mme de Condorcet. Le petit
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