Histoire du Japon
traits distinctifs de. a classe dirigeante dans le Japon du Moyen Age, il vaut donc la peine d’examiner ses agissements, ses sentiments et ses pensées à la lumière de la documentation disponible. Quelle est cette documentation ?
Du point de vue quantitatif, elle est assez copieuse, car il reste d’abondants vestiges littéraires sous forme de chroniques, de journaux intimes, de romans et de poèmes, qui, sans nous être toujours parvenus sous leur forme originale, sont de précieuses sources de renseignements lorsqu’on les utilise avec circonspection. Parmi eux, le plus important est le Roman de Genji. Il s’agit d’un roman, d’un chef-d’œuvre de fiction, mais basé sur l’expérience de son auteur, et vibrant de sa sensibilité, en sorte qu’il constitue une étude des plus pénétrantes de la société aulique. Mais il est plus que cela, car comme tant de grandes œuvres d’art, il révèle bien des choses inexprimées ailleurs : les forces inconscientes, les idées tacites, les mobiles secrets de l’époque. On peut en dire autant des autres arts que la littérature, tant il est vrai que pour traduire l’esprit impalpable d’une période la représentation picturale est souvent la meilleure ressource, et à n’en pas douter, les peintures et sculptures de l’époque des Fujiwara en expriment très clairement le caractère.
Si ces arts plastiques ont, pour la plupart, une origine ou un but religieux, nous pouvons en tirer une indication sur le rôle joué par le bouddhisme ou du moins par ses observances, dans la vie de la cour et d’autres grands protecteurs. Chercher à définir l’importance de la religion, de l’autorité et de l’influence de l’Église, doit bien sûr faire partie intégrante de toute étude de l’histoire d’une nation à quelque période que ce soit. Mais c’est essentiellement par ses traits extérieurs que le bouddhisme de l’époque de Heian est révélateur de la nature de la société métropolitaine, et son ampleur même nous enjoint de traiter ce sujet à part. Ce qu’il y a de particulièrement intéressant dans les aspects pseudo-philosophiques de la vie de Heian, c’est la faculté de concilier des croyances apparemment aussi incompatibles que celles du bouddhisme, du confucianisme et du shintoïsme indigène. La chose s’explique sans peine, et fournit à elle seule une précieuse indication sur la société dont nous nous occupons ici, car si nous admettons que les courtisans et les fonctionnaires de la capitale formaient une élite où l’on sacrifiait largement aux principes du goût, il faut aussi admettre que, de toute évidence, les besoins spirituels et intellectuels ne les travaillaient guère. Il semble que l’on puisse dire à juste titre que l’humeur dominante était à la sentimentalité, ou au mieux à la sensibilité, et non aux spéculations angoissées sur le bien et le mal, et la nature de l’être.
Ces opinions sont peut-être trop hardies, mais elles reposent sur les conclusions que l’on est en droit de tirer des romans de l’époque, notamment le Roman de Genji, ou de recueils comme les Notes de chevet de Sei Shônagon, qui parlent sans doute plus complètement des mœurs de la période que la littérature contemporaine d’aucun autre pays. Bien sûr, il ne faut pas voir dans ce genre d’ouvrages un exposé exact et réaliste de ce qu’il convenait de faire dans la capitale et dans ses faubourgs, car eux-mêmes se veulent littéraires, romanesques et sentimentaux. Mais il n’est pas besoin d’écarter pour autant leur témoignage comme sujet à caution, car il n’est pas meilleure histoire sociale qu’une œuvre de génie. Brillantes observatrices, les auteurs de ces deux ouvrages brossent l’une et l’autre le tableau très crédible d’une petite coterie aristocratique adonnée au plaisir mais guidée par certains sentiments de convenance et par une règle bien définie du goût.
Il est vrai que la plupart des épisodes racontés dans le Roman de Genji ont trait à la galanterie. Cour, séduction et toutes les conséquences qui peuvent en découler en constituent le thème central, et l’on est en droit de penser qu’il s’agissait là du premier intérêt et de la principale occupation des hommes et femmes bien nés qui vivaient dans la ville impériale ou à proximité. Mais en fait, ce long roman est étonnamment dépourvu de passages érotiques. La romancière se plie aux conventions du jour,
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