Histoire du Japon
c’est par les pouvoirs magiques qu’elles étaient censées offrir aux croyants que la philosophie chinoise., confucéenne ou taoïste, et la religion bouddhique avaient l’une et l’autre séduit les Japonais.
Les devins et les exorcistes, qu’ils pratiquent le yin-yang ou soient adeptes du bouddhisme, comme les ajari, prétendaient guérir les maux psychiques et somatiques en chassant les mauvais esprits. Leur méthode consistait à réciter des formules spéciales et à asperger le malade d’eau froide. Les formules provenaient du « Livre des mutations », en sorte qu’on a ici un exemple très clair de l’influence chinoise sur le culte indigène. Cette influence ressort à l’évidence de l’application de la théorie yin-yang des jours favorables et défavorables (fas et nefas). Les jours néfastes, il fallait s’abstenir de tout sauf des actions et des fonctions tout à fait essentielles. Aucune affaire ne devait alors être traitée, aucune lettre écrite, aucune visite reçue. On appelait cette condition « imi », ou abstinence. Il s’agissait à l’origine de l’état de pureté rituelle exigé dans des buts sacrés par la religion japonaise primitive, mais on en vint à l’appliquer dans le sens des Chinois. Un homme qui faisait retraite dans sa propre maison mettait un panneau de bois (l’« imifuda ») sur sa porte, et s’il devait absolument sortir il affichait un même avertissement à son chapeau, afin que personne ne l’approche ni ne lui demande un service. Il y a d’autres exemples de la pénétration du culte indigène par les idées chinoises, mais on se contentera de celui-ci, car il n’est que normal que les concepts fondamentaux de la magie soient à peu près les mêmes dans l’ensemble de l’Asie orientale.
Concernant la méthode pratiquée au Japon pour chasser le démon dont un malade est possédé, un passage classique du Roman de Genji raconte la mort de la princesse Aoi, victime de l’esprit jaloux de sa rivale, la princesse Rokujô. Les rituels d’exorcisme et de divination furent dûment accomplis par les plus grands adeptes, et le supérieur du Tendai et autres éminents ecclésiastiques prièrent avec ferveur à son chevet, mais en vain : on ne réussit ni à chasser ni à identifier l’« esprit vivant » qui la possédait.
Murasaki Shikibu décrit certains aspects de la méthode en racontant dans son journal l’un des accouchements (celui de 1025) de l’impératrice Akiko. On crut cette dernière en danger parce que la délivrance tardait à venir, et plusieurs exorcistes furent appelés à son chevet alors qu’elle souffrait cruellement. Il s’agissait pour eux de convaincre à force de cris et d’objurgations les esprits malins d’entrer dans le corps de certaines des dames de la cour auxquelles ils ne pouvaient faire aucun mal :
« Lorsqu’ils criaient, écrit-elle, leurs voix étaient effrayantes à entendre. L ’ajari Shinyö prit la dame Gen, l ’ajari Sôso prit la dame Hyœ, le risshi du Höjöji prit la dame Ukon, et la dame Miya no Naishi fut confiée au soin de Vajari Chisô. Mais ce dernier exorciste fut vaincu par l’esprit malin, et il s’évanouit. Il était dans un triste état, mais on fit venir l ’ajari Nengaku pour le remplacer. Ce n’est pas que son exorcisme était faible, mais l’esprit malin possesseur [de Sa Majesté] était très puissant. L’esprit de la dame Saishô [qui tenait lieu de substitut à l’impératrice] était conjuré par le moine Eikö, qui cria toute la nuit jusqu’à être complètement enroué. Les dames qu’on avait appelées pour recevoir l’esprit malin n’en furent pas affectées, mais elles étaient très agitées. Cependant, vers midi, le ciel était clair, et c’était comme si le soleil s’était enfin levé […]. Sa Majesté était tranquille et tout allait bien. C’était un beau garçon. »
Vint ensuite le bain solennel de l’enfant, que le régent tenait dans ses bras tandis que les dames de la cour, magnifiquement vêtues, veillaient aux ablutions. Il fallait prendre grand soin de tenir à l’écart toute influence néfaste. Vingt archers de la garde du corps faisaient vigoureusement vibrer la corde de leurs arcs pour effrayer les mauvais esprits, et des docteurs en littérature lisaient à haute voix des passages édifiants des classiques chinois. Il est typique des manières de l’époque que Murasaki décrive avec amour les vêtements portés par les
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