Histoire du Japon
attachés à la croyance selon laquelle la maladie était causée par des esprits malins, et à moins qu’ils ne fussent des confucianistes très stricts, il était fréquent qu’ils recourussent à des incantations et à des prières, voire à de longues retraites durant lesquelles ils récitaient des textes sacrés, dans l’espoir de guérir leurs maux ou d’améliorer leur bien-être. Il existe un récit très intéressant des habitudes d’un noble Fujiwara, un certain Sanesuke, ministre de la Droite, dont Murasaki Shikibu fait l’éloge dans son journal en disant qu’il était « hors de l’ordinaire ». Dans ses carnets intimes, il décrit comment, se sentant mal dans son corps et perturbé dans son esprit, il fait venir comme exorcistes plusieurs « ajari » (dérivé du sanscrit « acarya », saint homme) pour qu’ils prient toute la nuit à côté de son lit. Lui-même jeûne, et le lendemain les ajari reviennent prier à son chevet. Après quelques jours de ce traitement, il se sent mieux et consulte un devin. Celui-ci explique que sa maladie lui vient d’un esprit affamé, qu’il s’agit d’apaiser par un exorcisme. Le jour suivant, deux moines s’en vont chacun battre gongs et tambours dans cinquante monastères. A une autre occasion, troublé par des cauchemars, Sanesuke paie des enfants dix jours durant pour qu’ils battent chaque jour les gongs de dix monastères.
Quoique ces pratiques paraissent fortement teintées de bouddhisme et relèvent dans ce sens de l’influence chinoise qui amena le bouddhisme au Japon, elles font partie d’un mélange de croyances de sources diverses. Le mythe des dieux tel que le racontent les chroniques témoigne d’une croyance bien ancrée selon laquelle certaines divinités ainsi que les esprits des morts peuvent jeter un sort aux vivants, et des documents attestent l’existence de grands rituels d’exorcisme destinés à débarrasser la communauté de la peste et autres fléaux. L’idée de possession par des esprits vengeurs, très courante à l’époque de Heian, semble ainsi d’origine indigène ; mais la science et l’exemple chinois ne firent certainement rien pour la changer ou pour l’atténuer. Il semblerait plutôt que le puissant ensemble de formules magiques plus élaborées contribuât à renforcer les simples incantations de l’ancien temps. Ainsi, on consacrait ici et là de grandes cérémonies bouddhiques à l’apaisement des esprits qu’on croyait responsables de telles calamités, comme dans le cas bien connu de Sugawara Michizane, qui tomba en disgrâce et fut banni par ses rivaux Fujiwara. Peu après qu’il mourut en exil (903), la grande salle d’audience (Shishin-den) du palais fut frappée par la foudre, et pendant des semaines la capitale connut des pluies et des orages terribles. D’autres désastres suivirent, parmi lesquels la mort violente d’hommes éminents et de multiples incendies. Ces catastrophes se succédèrent sur une si longue période qu’on ne put les attribuer qu’à l’esprit vengeur de Michizane. On le rétablit donc dans les fonctions et dans le grade qu’il avait eus de son vivant, et tous les documents ayant trait à son bannissement furent détruits. Mais les calamités continuèrent, et, dans leur inquiétude, des membres de la famille Fujiwara firent célébrer des services dans l’espoir de lever la malédiction. Enfin, un oracle annonça en 942 qu’un sanctuaire devait être construit où Michizane fût vénéré à l’égal d’une divinité, c’est ainsi qu’on édifia pour lui le Kitano Temmangû, qui ne tarda pas à levenir populaire et où maintes générations de fidèles vinrent lui adresser leurs prières en tant que tenjin (divinité céleste), titre que lui conféra un décret royal de 986. Bientôt on vit en lui le dieu du savoir, et en particulier le la calligraphie.
Si la croyance en des formes de magie particulières avait diminué avec le temps, en général les membres de la société de Heian à ses plus hauts niveaux continuaient à recourir à des pratiques occultes d’invocation et d’incantation pour vaincre les forces du mal, supposées extrêmement actives. Ces pratiques étaient encouragées à la fois par la cosmologie du yin-yang et par l’enseignement de certaines formes tantriques du bouddhisme comme celles de la secte Shingon, puissante à l’époque de Heian. Il n’y a d’ailleurs là rien de bien surprenant, car on se rappellera que
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