Histoire du Japon
présentait comme l’essence de son enseignement, de la Chaîne de Causalité, la suite inévitable des événements. « Si cela est, cela vient à passer. Du fait de cet événement, cet événement survient. Si cela n’est pas, cela n’a pas à passer. »
L’élaboration métaphysique de cette loi est difficile à comprendre, mais les gens les plus simples pouvaient saisir l’idée que l’ensemble de l’univers est un processus de vie, de mort et de renaissance impliquant la souffrance, à laquelle on peut échapper en atteignant un but (appelé nirvana) qui n’est pas l’annihilation mais l’absence de toute cause de souffrance.
L’homme ne peut parvenir à ce but aussi longtemps qu’il pense en termes d’identité. Aussi longtemps qu’il croit avoir un soi, il doit passer par une suite interminable de réincarnations. En d’autres termes, il s’agit de la doctrine du karma, dont l’essence veut qu’une vie, loin d’être complète en soi, soit à la fois une suite et un prélude, conditionnée par les vies antérieures et conditionnant les vies à venir. Cette chaîne peut comporter des existences de différentes espèces, animales, humaines et divines, en sorte que les actions de l’homme sont susceptibles de l’élever vers la délivrance ou de l’abaisser par une incarnation en un être humain malheureux, une bête, un oiseau, un insecte.
Il y a ici des points que l’on a de tout temps discutés, mais dans la plupart des pays asiatiques, la ligne générale de la doctrine pouvait être appréciée dans son ensemble par tout vrai converti soucieux d’apprendre. Lorsqu’ils entrèrent pour la première fois en contact avec la pensée indienne, les Chinois étaient déjà un peuple très cultivé, habitué aux réflexions philosophiques et féru de cosmologie, et cela bien avant d’avoir maîtrisé et traduit les grands textes. Les Japonais, eux, étaient moins avancés. Leur intérêt fut d’abord attiré par le pouvoir magique qu’ils percevaient dans la religion nouvelle et par son rituel impressionnant. Mais ils ne tardèrent pas à en comprendre les grands principes, et ce qui, par la suite, les frappa le plus fut sa compréhension du cœur humain, sa clémence et sa compassion.
En déclarant que tous les biens et les plaisirs terrestres sont illusoires et qu’il n’y a pas de vie sans souffrances, le bouddhisme n’émettait pas une vérité incompatible avec l’esprit des Japonais, car leur plus ancienne poésie semble indiquer qu’il. étaient souvent accablés par le sentiment de la nature transitoire des choses mêmes qu’ils admiraient le plus, la beauté, l’éclat, la puissance. L’idée bouddhique d’une interminable succession de changements fit ainsi une forte impression sur leurs esprits, tandis que la doctrine du karma fut peut-être l’influence étrangère la plus puissante et la plus durable de toutes celles que subit la vie japonaise.
A ses débuts, comme nous allons le voir, le bouddhisme ne fut jamais une religion populaire. Il fut parrainé et encouragé par la hiérarchie dirigeante et dans son intérêt, à la fois comme un véhicule de culture et un instrument de pouvoir, et la fourniture d’édifices et d’images sacrés était une prérogative de l’État. Mais le bouddhisme se propagea à travers la nation, et bien qu’il ne dominât jamais la vie du Japon comme on peut dire du christianisme qu’il domina celle de l’Europe, il marqua de son sceau de nombreux aspects de la culture japonaise, notamment les arts, mais aussi les habitudes du peuple, sa langue, sa sagesse proverbiale.
Alors que, au vue siècle, ainsi que nous venons de le voir, l’évolution politique du Japon subissait l’influence des idées et pratiques chinoises, des coutumes indigènes encore profondément enracinées offraient une résistance tenace aux changements que les réformateurs brûlaient d’imposer à la vie japonaise. Si ces réformateurs parvinrent à mettre en place un nouvel appareil de gouvernement, celui-ci ne fonctionna jamais sans heurt et finit par tomber en panne, ou fut du moins soumis à tant de modifications et de réparations qu’il perdit l’essentiel de son caractère systématique original. En fait, l’histoire japonaise des vue, vine et ixe siècles pourrait se résumer à une description de l’élaboration d’institutions sur le modèle chinois, puis de leur déclin progressif tandis que viennent les remplacer ou les améliorer
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