Histoire du Japon
toute une floraison de méthodes indigènes. On peut dire que la réforme politique était prématurée et que ses responsables ont péché par excès de zèle et de hâte. La chose est sans doute vraie dans maints exemples particuliers, mais une perspective historique plus vaste fait apparaître l’impuissance des idées chinoises à prendre racine au Japon comme une illustration de ce que Vico appelle l’illusion de la succession scolastique. En d’autres termes, le Japon du vue siècle n’était pas mûr pour adopter un système complexe né de plusieurs siècles d’expérience chinoise. Il y avait des limites à la capacité japonaise d’absorber des idées nouvelles en matière politique, d’une part parce qu’elles ne s’étaient pas développées naturellement sur le sol japonais, mais aussi parce qu’une puissante minorité, satisfaite de sa condition, était fermement opposée au changement.
Quant aux idées religieuses, tel qu’il se présentait aux Japonais, le bouddhisme ne semblait pas constituer une menace pour les institutions auxquelles ils étaient attachés. Beaucoup d’entre eux y voyaient plutôt un enrichissement de la vie, ne serait-ce qu’à travers son imposant cérémonial, et quelques-uns y découvraient le chemin du savoir et de la dignité. A ses débuts, le bouddhisme rencontra au Japon une certaine résistance, mais ses ennemis ou ses rivaux ne disposaient d’aucune arme efficace pour lutter contre lui. Les anciens clans sacerdotaux, comme les Nakatomi et les Imbe, avaient perdu l’essentiel de leur influence au cours des conflits intérieurs de la première partie du siècle, et n’étaient plus assez puissants pour faire pression contre la nouvelle religion qui trouvait toujours plus d’écoute en haut lieu et présentait certains avantages visibles et tangibles que le simple culte des dieux indigènes ne pouvait offrir. En outre, l’Église bouddhique – car en 650, patronné par l’empereur, le bouddhisme avait presque l’aspect d’une institution nationale – se montrait tolérante, et il n’était pas difficile, avec un peu de bonne volonté, de trouver entre les deux religions un compromis valable dont l’une et l’autre allaient tirer profit.
Le trait le plus frappant et le plus important du bouddhisme au Japon est qu’il se propagea si rapidement. Peut-être la raison en est-elle qu’il n’avait rien à redouter et rien à détruire. En Chine, il lui fallait lutter avec de puissantes écoles de philosophie et les droits acquis d’une classe de fonctionnaires qui devaient gouverner en accord avec les doctrines de l’une ou l’autre de ces écoles. Malgré son fort attrait, il lui arriva donc parfois d’être en butte à de strictes prohibitions et même à de sévères persécutions. Au Japon, rien de tel ne se produisit pour la bonne raison qu’il n’y avait pas de système de pensée indigène apte à contester une nouvelle religion, ni de code hautement développé engageant la classe dirigeante. Dans le domaine intellectuel, le Japon offrait table rase aux évangélistes du bouddhisme. En outre, tel qu’il se présenta d’abord aux plus grands esprits japonais, le bouddhisme était davantage qu’une nouvelle forme de culte ; c’était un système complet de croyances profondes et un somptueux rituel. C’était comme si un grand oiseau magique, doté d’ailes assez fortes pour franchir l’océan, avait apporté au Japon tous les éléments d’une vie nouvelle – une nouvelle moralité, des connaissances de toute espèce, littéraires, artistiques et professionnelles, et une métaphysique subtile sans équivalent dans la tradition indigène. En bref, le bouddhisme était le véhicule d’une culture avancée, et, de ce fait, il était doublement bienvenu dans un pays avide de progresser, comme un homme pauvre mais ambitieux travaille à faire son chemin dans le monde en étudiant pour développer ses talents naturels.
La première phase de l’expansion du bouddhisme au Japon débuta vers 550, ou une dizaine d’années plus tôt, avec les images et écrits offerts par le roi du Paekche, et continua pendant une génération environ à dépendre des maîtres de ce pays. Ces derniers furent traités avec beaucoup de considération, mais on ne peut pas dire qu’à l’époque le bouddhisme en tant que religion fit grande impression sur l’esprit même des Japonais, car il paraît n’avoir été considéré que comme l’une des
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