Histoire du Japon
nombreuses doctrines importées de Chine, et on l’appréciait davantage pour ses avantages matériels que spirituels. Ce n’est qu’avec la fin momentanée des querelles dynastiques correspondant à l’intronisation de l’impératrice Suiko et à la régence du prince impérial Shôtoku (vers 600) que le bouddhisme commença réellement à faire des progrès rapides au Japon. Désormais, la doctrine n’arrivait plus depuis le Paekche mais depuis le royaume de Kokusyo, lequel vivait en étroit contact avec l’empire chinois des Sui, où le bouddhisme était très en faveur. Le maître de Shôtoku lui-même était un moine du Kokusyo, et il avait sans doute les qualités requises pour être d’un précieux conseil dans le domaine séculier aussi bien que spirituel. Notons que le prince avait aussi un précepteur confucéen, et que, sous cet aspect, il représentait en tant que régent l’ensemble du Japon, pour lequel débuta alors une longue période d’étude des sciences et des arts étrangers.
On rapporte que le prince Shôtoku étudia et interpréta plusieurs sùtras, et s’appliqua à promouvoir la foi nouvelle de bien d’autres façons. Outre de nombreux sanctuaires et chapelles privés, plusieurs importants monastères furent construits, à commencer par le Shitennôji (Sanctuaire des Quatre Devaraja ou Rois célestes) en 593, et le Hôkôji, qui fut terminé en 596. En 607 fut fondé le grand monastère et séminaire du Hôryûji, dans l’enceinte duquel le régent fit cc nstruire sa résidence et une chapelle pour ses méditations, la « Salle des Rêves » ou Yumedono. A la fin de 624 (trois ans après sa mort), le Japon comptait quarante-six monastères, 816 moines et 569 nonnes.
Il est difficile de décrire de façon précise l’avance que fit à cette époque l’enseignement bouddhique. Les grands monastères étaient des lieux de savoir plutôt que de culte public, et il est très probable que, si les études bouddhiques y florissaient, l’homme du commun ne savait pas grand-chose de la nouvelle foi. Rien ne prouve d’ailleurs qu’un effort missionnaire suivi ait été fait, que ce soit par les saints hommes de la Corée et de la Chine ou les moines japonais, pour propager leur évangile parmi le peuple. Mais si le peuple fut long à percevoir la supériorité spirituelle du bouddhisme, il ne pouvait manquer d’être frappé par la beauté matérielle qui l’accompagnait. Elle satisfaisait les besoins esthétiques auxquels sa religion originale, dont la simplicité allait jusqu’à l’austérité, n’avait pas su répondre. Les monastères, les trésors qu’ils contenaient et les cérémonies hautes en couleur dont leur enceinte était le cadre constituaient des œuvres d’art d’une perfection jusque-là inconnue. Ce fait est amplement prouvé par ce qu’a laissé l’époque de Shôtoku Taishi, notamment les bâtiments du Hôryûji datant du vif siècle, des sculptures aussi superbes que la triade de Sakyamuni (623), et la Kannon du couvent de femmes du Chügüji. Ce sont des œuvres d’une qualité exceptionnelle qui prouvent que l’art japonais doit beaucoup au bouddhisme. Si l’on excepte diverses pièces préhistoriques et quelques objets de métal prébouddhiques, les premières réalisations artistiques du Japon en architecture, sculpture, peinture, broderie et calligraphie sont toutes issues directement ou indirectement de son introduction. En fait, la civilisation japonaise ne peut guère se concevoir hors de l’influence du bouddhisme, car sa qualité esthétique en est l’un des traits essentiels.
C’est un fait vraiment singulier que les Japonais doivent à ces belles choses plutôt qu’à des sermons ou des écrits leur première connaissance directe de la culture qu’ils allaient adopter. Devant les paisibles figures ornant leurs sanctuaires, les plus simples d’entre eux ont dû sentir qu’il s’agissait d’une vision du paradis. Aujourd’hui encore, considérant la beauté de la Kannon du Chügüji, même l’occidental sceptique ne peut que la trouver émouvante, tant est profonde et forte l’impression d’amour et de compréhension, de paix et de bonté qui s’en dégage. Songeant au passé, il ne peut s’empêcher de penser qu’un pauvre paysan, un « travailleur étique et mal lavé », découvrant par hasard une statue de ce genre, a dû saisir aussi dans ses traits pleins de grâce et de sagesse la possibilité d’une vie de
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