Histoire du Japon
l’esprit, d’une béatitude intérieure que, jusque-là, il n’avait pu imaginer.
L’influence qu’eut alors la pensée bouddhique sur l’éthique japonaise est plus difficile à saisir. Les premières épreuves surmontées, la cour adopta d’enthousiasme la nouvelle religion, ce qui aida sans doute dans une certaine mesure à la propagation de ses principes moraux. Le régent était un homme dévôt et vertueux, qui encouragea de son mieux le respect des Trois Trésors – le Bouddha, la Loi et l’Ordre des moines –, qu’il considérait comme le meilleur moyen d’atténuer le mal en l’homme, de remédier à sa perversité. Mais il serait très difficile à démontrer qu’au vue siècle, la reconnaissance officielle du bouddhisme se traduisit par un changement tangible dans le comportement ordinaire du peuple. En règle générale, même les croyants les plus enthousiastes de la cour ne laissèrent pas leur conversion porter atteinte à leur pratique de l’ancien culte. Il est vrai que quelques empereurs montrèrent une certaine négligence dans l’accomplissement des cérémonies shintoïstes prescrites, et l’on a dit de Kôtoku qu’il « méprisait la Voie des Dieux » ; mais dans l’ensemble on peut dire que le culte des ancêtres impériaux et les rites usuels d’action de grâce et de purification furent dûment célébrés. Pour citer un exemple de la fin du vue siècle, l’impératrice Jitô (686-697) se montra impartiale dans ses dévotions et dota généreusement les établissements shintoïstes aussi bien que bouddhiques.
Peut-être le premier signe tangible d’une expansion du bouddhisme au-delà de la capitale fut-il un décret promulgué en 685, décret ordonnant à toutes les provinces que chaque maison fût pourvue d’un petit autel bouddhique avec une image du Bouddha et des textes sacrés placés à l’intérieur. La chose ne s’appliquait sans doute qu’aux maisons officielles, mais n’en témoigne pas moins d’un désir de faire de la célébration des rites bouddhiques une pratique régulière dans l’ensemble du pays. Le trait le plus frappant des débuts du bouddhisme japonais est l’enthousiasme avec lequel les membres de la classe dirigeante vouèrent leur énergie et leur argent à édifier des monastères et des chapelles, à les remplir d’objets précieux, et à montrer leur goût des cérémonies imposantes accomplies par de nombreux moines très richement vêtus. C’était une pratique courante parmi les chefs des grandes familles que de doter des sanctuaires au profit de leurs parents vivants ou morts, alors que les gens de moindre importance consacraient des images, ou faisaient des offrandes votives, avec des prières pour le bonheur des leurs dans cette vie et dans la suivante. Peut-être y avait-il ici un lien entre les idées anciennes et nouvelles, car le sentiment familial était un élément puissant dans la vie japonaise, et il n’était que naturel qu’on cultivât tout particulièrement les aspects du bouddhisme qui semblaient faire écho à cette forme de piété. Sur cette base, on comprenait aussi plus facilement la conception bouddhique de l’existence comme une continuité où chaque événement comporte des causes passées et des effets à venir.
Les actions pieuses mentionnées dans les premiers temps du bouddhisme au Japon, telles que les offrandes signalées ci-dessus, exprimaient pour la plupart des sentiments déjà vivants dans l’ancienne foi. Certaines pratiques venaient en outre de l’injonction bouddhique ordonnant de respecter la vie et de réduire la souffrance, ce qui contribua sans doute à adoucir les mœurs. Dans chaque province, des terres libres d’impôts formaient une sorte de sanctuaire où l’on ne pouvait récolter de fourrage et où, à certaines occasions, on libérait des animaux et des oiseaux en cage dans le cadre d’une cérémonie religieuse.
Ce ne sont là que des spéculations sur les bases de la foi religieuse au Japon. On ne peut toutefois douter des progrès matériels du bouddhisme en tant qu’institution. En 692, les quarante-six monastères et sanctuaires de 624 étaient devenus 545, et l’étude de la doctrine bouddhique avait fait des pas de géant, grâce aux efforts des moines érudits venus de la Chine, mais aussi aux patientes recherches des savants japonais. Les grands monastères avaient la faveur de la cour et prospéraient sous l’abondance des dons, au point que le
Weitere Kostenlose Bücher