Histoire du Japon
administrateur accompli ; mais il était prudent et savait attendre son heure. Les chefs guerriers le respectaient, et ceux qui étaient présents quand Hideyoshi prononça ses dernières volontés ne purent qu’acquiescer à l’éloge du mourant concernant la sagesse et l’expérience de Ieyasu.
Il était naturel que Hideyoshi souhaitât nommer un conseil de régence pour assurer la succession de son bien-aimé Hideyori. Dans son désir passionné de protéger l’avenir de l’enfant, il exigea de Ieyasu et de ses collègues des promesses solennelles afin de les empêcher d’agir dans leur propre intérêt, les obligeant à renoncer aux pratiques féodales courantes qui consistaient à détenir des otages ou à mettre sur pied des mariages politiques. De telles mesures auraient pu marcher si la minorité de Hideyori avait été très brève, mais l’enfant n’avait que cinq ans, et les années à venir recelaient de grands risques de désaccord, risques que Hideyoshi aurait prévus si son esprit avait fonctionné clairement. Mais son seul souci concernant l’avenir consistait à perpétuer sa famille. Il ne laissait ni volontés ni ordres quant aux questions brûlantes qui ne pouvaient manquer de se poser au conseil de régence immédiatement après sa mort.
Il est important de noter ces circonstances, car on prétend souvent que Ieyasu n’avait nulle intention d’obéir aux vœux de Hideyoshi. Il est évidemment possible qu’il ait acquiescé à ses exigences tout en sachant fort bien qu’on ne décide pas de l’avenir par de simples paroles, mais avec le souci d’adoucir les derniers moments de son camarade mourant. Mais il n’est pas moins vraisemblable qu’il se soit soumis au désir de Hideyoshi parce qu’il ne pouvait pas prévoir le tour que les événements allaient prendre. Qu’il fût disposé à donner son appui à Hideyori ou qu’il envisageât de travailler à ses propres ambitions, le problème immédiat qui se posait à lui était simple. Il devait à tout prix maintenir l’unité que Hideyoshi avait réalisée. C’était une unité qui dépendait d’un équilibre des pouvoirs un peu précaire plutôt que d’une supériorité permanente des grands vassaux dont il était le chef. Son premier soin fut donc de renforcer sa propre autorité, sans attacher une attention particulière aux droits de Hideyori.
C’est en étudiant la liste des plus importants daimyô et en estimant leur puissance militaire d’après leur revenu qu’on pourra se faire la meilleure idée de la distribution du pouvoir au Japon à la fin du XVIe siècle.
En premier lieu venaient les grands barons, membres du conseil de régence constitué par Hideyoshi sur son lit de mort. Leurs noms et leurs revenus annuels en chiffres ronds étaient les suivants :
Le revenu présumé total de l’ensemble des fiefs du Japon était quelque peu supérieur à vingt millions de koku, et en termes de puissance économique les membres du conseil détenaient ainsi près d’un tiers du total national. Il est vrai que la puissance militaire des grands daimyô ne correspondait pas nécessairement au montant de leur revenu. Dans certains cas, la situation stratégique était un facteur important. Ainsi, Môri Terumoto, qui détenait neuf provinces à l’extrémité occidentale de la principale île, était de toute évidence plus puissant du point de vue militaire que Uesugi Kagekatsu, dont les grands domaines de la région d’Aizu étaient coupés des provinces centrales par des obstacles géographiques aussi bien que politiques. Avec moins d’un million de koku, Maeda Toshiie était quant à lui beaucoup plus puissant que Uesugi du fait que, de ses domaines de l’Etchû et du Kaga, il avait facilement accès aux provinces centrales. C’est grâce aux loyaux services de Toshiie qu’il obtint des fiefs dans cette importante région en 1583. Il noua une étroite amitié avec Hideyoshi qui (rappelons-le) lui confia la tutelle du précieux Hideyori.
A un moindre niveau du point de vue du rang et de la richesse venaient les cinq commissaires ( go-bugyô ), qui ne décidaient pas des questions de haute politique mais exécutaient les ordres des membres du conseil en tant que chefs des organes exécutifs. Il s’agissait d’Asano Nagamasa, Maeda Geni, Mashida Nagamori, Ishida Mitsunari et Natsuka Masaie. Ils avaient obtenu du Taikô des fiefs de moyenne importance, mais leur revenu global n’atteignait pas un million
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