Histoire du Japon
été les grandes institutions religieuses et en particulier l’Église bouddhique. Du fait des agissements de Nobunaga, les arts n’eurent plus alors à se soucier des désirs de la religion et se trouvèrent libres de puiser leur inspiration dans le profane aussi bien que dans le sacré. On voit déjà l’essence de l’art Momoyama dans les peintures d’Azuchi ; et Kanô Eitoku, aidé de son fils adoptif Sanraku, réalisa la majeure partie des grandes peintures des palais de Hideyoshi. Parmi les plus célèbres d’entre elles figurent les Lions jouant (Karashishi), un paravent en six panneaux de près de sept mètres de long sur trois mètres de haut, dimensions parfaitement adaptées à la vaste salle qu’il ornait. C’est devenu aujourd’hui un trésor impérial, et peut-être au même titre que toute œuvre d’art, il est révélateur du goût de son époque. Ses couleurs éclatent sur un arrière-plan d’or. Il déborde de vie et d’énergie.
On trouve également de bons peintres en dehors de la famille des Kanô, notamment Kaihoku Yüshö. Certains d’entre eux sont des maîtres de l’encre de Chine, et leurs œuvres, bien que sans couleurs, manifestent la vigueur caractéristique du pinceau Momoyama sans pour autant abandonner une certaine tradition classique.
En architecture, rien ne reste de l’époque de Nobunaga, mais on trouve d’importants vestiges des palais de Hideyoshi et autres bâtiments d’alors. Citons parmi eux la belle porte ( Karamon) du Daitokuji, d’un dessin remarquable et d’une exécution superbe ; le Hiunkaku, élégant pavillon du Nishi Honganji ; et le Sambô-in du Daigoji, l’une des résidences favorites de Hideyoshi et cadre de sa dernière fête.
Ces vestiges sont d’un grand intérêt pour l’historien de l’art en tant que témoins du goût et de l’habileté technique de la période de Momoyama. Ils témoignent d’une délicatesse de traitement en flagrant contraste avec l’imposante masse des bâtiments dont ils faisaient partie ; et comme la beauté de leur exécution s’inscrit dans la tradition indigène, on peut à peine les considérer comme spécifiques de l’époque de Momoyama. Les grands édifices sont toutefois caractéristiques d’un ordre nouveau, en ce sens qu’ils expriment à merveille une époque hardie, ambitieuse et vivante 202 .
Il est à peine besoin de dire que l’accroissement des dépenses que l’on observe alors fut favorisé, sinon provoqué, par une augmentation rapide de la production de biens de toutes sortes dans l’ensemble du pays au cours du XVI e siècle. La nourriture était abondante, des méthodes nouvelles amélioraient le rendement des mines, et les efforts déployés par les riches marchands dans leurs villes prospères hâtaient l’expansion du commerce.
Certains voient dans le développement artistique traité dans ce chapitre un équivalent de la Renaissance européenne ; mais le parallèle est boiteux, car la culture Momoyama tirait son énergie des concepts matériels de la société féodale et manquait d’éléments humains.
CHAPITRE XLVI
Tokugawa Ieyasu
JEUNESSE
Pendant quelque vingt ans après la mort de Hideyoshi, Ieyasu fut le personnage le plus important de la vie japonaise ; et après sa propre mort, en 1616, son souvenir domina la scène politique durant la majeure partie du XVII e siècle. Il est donc important d’étudier son caractère tel qu’il évolua sous la pression des événements, à la fois militaires et politiques, tandis que Nobunaga puis Hideyoshi gouvernaient le pays.
Ieyasu était le fils aîné d’un petit chef de clan guerrier nommé Matsudaira, dont les terres se trouvaient entre les domaines des puissants seigneurs Imagawa, du Suruga, et de la famille Oda, influente dans l’Owari. C’était une situation difficile, et elle assombrit les premières années de Ieyasu. En 1547, alors qu’il était dans sa sixième année, on l’envoya vivre comme otage dans la maison Imagawa, mais sur la route de Sumpu, la capitale du Suruga, il fut capturé par un agent d’Oda Nobuhide (le père de Nobunaga) et emmené à Atsuta, où on le garda deux ans comme otage. Son père étant mort durant cette période, ses perspectives d’avenir, de même que celles de la famille Matsudaira dans son ensemble, paraissaient des plus sombres. Une trêve conclue entre les Oda et les Imagawa lui valut toutefois une certaine liberté, et il rentra chez lui, mais pour être à
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