Histoire du Japon
peintures brillamment colorées, du genre dit « damiye », de Kanô Eitoku (1543-1590) et de ses élèves. Elles se trouvaient peintes sur les murs, les cloisons, les portes coulissantes (« fusuma ») et les paravents (« byôbu > »). Chacun des sept étages du donjon était décoré d’œuvres traitant d’un sujet différent. Il y avait des paysages, des rochers et des arbres, des fleurs et des oiseaux, des animaux, réels et mythiques, et des personnages, tous peints à grande échelle. Le biographe de Nobunaga nomme ces objets avec enthousiasme. Il se délecte de leur profusion. Dans ses descriptions, il n’y a pas trace de la retenue qui avait dirigé le goût de Yoshimasa et de sa coterie lorsqu’ils dessinaient leurs jardins et leurs pavillons. Les idéaux de la période de Momoyama n’avaient guère de rapport avec ceux de la période d’Higashiyama.
Il s’agit manifestement d’une nouvelle époque en matière de goût. Considérées séparément, les œuvres se rattachent encore à une tradition antérieure, mais de façon générale, leur attaque audacieuse et leurs éclatants coloris annoncent une nouvelle phase dans l’art de la décoration. Il n’y a rien de nouveau dans les sujets de la peinture Momoyama ni dans la technique très poussée qu’elle dénote, car ses brillantes couleurs elles-mêmes viennent de l’école du Yamato, vieille d’un siècle. Ce qui est nouveau, c’est l’abondance et la taille des peintures. Jamais auparavant on n’avait vu tant d’œuvres d’art contemporaines dans un unique palais. Cette importance donnée aux dimensions et à la profusion ainsi que la prédominance des sujets héroïques sont l’expression, sinon du caractère même de l’époque, du moins de l’ambition de ses dirigeants.
Un trait frappant des arts décoratifs Momoyama est la profusion de l’or employé. Au cours de la période de Muromachi, la demande d’or paraît s’être rapidement accrue alors que reprenaient les relations avec la Chine, et à l’époque de Nobunaga, le commerce avec la Chine consistait dans une large mesure en importations d’or et en exportations d’argent. La production d’or japonaise augmenta également. L’or servait à frapper des pièces de monnaie, mais en quantités assez limitées. L’or en barre était aussi utilisé comme monnaie d’échange, et les nouveaux dictateurs, Nobunaga d’abord puis Hideyoshi, employaient l’or abondamment et ostensiblement afin d’impressionner le monde par leur magnificence. Ils avaient tous deux l’habitude de montrer à leurs hôtes leurs pièces de séjour et leurs salles d’audience, puis de les emmener voir dans leurs souterrains les amas d’or et d’objets précieux qui constituaient leur trésor.
Par ailleurs, l’or tait employé en très grandes quantités pour la décoration sous toutes ses formes. Le salon de thé de Hideyoshi au château d’Osaka était de dimension modeste, mais son plafond et ses parois étaient entièrement revêtus de feuilles ou de poussière d’or, de même que les encadrements des fenêtres à glissières (shôji). Les tablettes étaient de laque dorée, et tous les ustensiles (sauf la puisette et les cuillères à thé) étaient d’or pur. Les tuiles mêmes du toit du donjon étaient recouvertes de peinture d’or. Jamais on n’avait vu un pareil étalage, si éloigné des austères critères esthétiques de l’époque de Yoshimasa. En matière de décadence, peut-être la palme revient-elle à Nobunaga, qui, en 1570, donna une fête pour célébrer la défaite de trois de ses ennemis ; à cette occasion, il sortit lui-même d’un coffre de laque noire les têtes de ses victimes et les fit voir à l’assemblée ; chacune d’elles était recouverte d’un fin masque de feuilles d’or, sur lequel on avait appliqué de la couleur.
Un pareil manque de goût ne doit cependant pas détourner l’attention du fait qu’Azuchi donna le jour à l’art Momoyama. A l’époque de Hideyoshi, une série de grands bâtiments vinrent s’inscrire dans l’évolution naturelle née de la forteresse de Nobunaga, et furent décorés dans un style similaire. Comme le remarque un grand historien de l’art japonais, c’est une curieuse anomalie que Nobunaga, qui porta un coup aux arts traditionnels en détruisant presque tous les grands monastères, ait créé une nouvelle tradition, car jusque-là les principaux patrons des peintres et des bâtisseurs avaient
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