Histoire du Japon
nationale entrepris par Nobunaga et achevé par Ieyasu, reposait sur la suzeraineté de toute terre exercée par le shôgun Tokugawa. Tout daimyô était soumis au pouvoir du shôgun. Il pouvait être privé de son fief ou contraint de l’échanger contre un autre, et, en principe, il était tenu de le gouverner selon les lois et les ordres du shôgun. En pratique, il y avait deux classes de daimyô, qui différaient par l’origine et la façon dont le bakufu les traitait. Nous en avons déjà parlé au chapitre XLVIII comme des fudai, vassaux héréditaires et successeurs de Ieyasu, et des tozama, seigneurs de grands domaines hérités de leurs ancêtres et non pas accordés par la famille Tokugawa. Étudions maintenant la situation de a’i façon plus détaillée.
Quoiqu’ils eussent droit à la plus grande confiance et fussent les mieux protégés de tous les daimyô, les fudai n’étaient pas bien traités, étant fréquemment déplacés tandis que d’autres étaient libres. C’était là une mauvaise habitude, car en changeant le dirigeant d’une province (kunigae), le bakufu empêchait celui-ci d’apprendre à connaître sa population, et son fief avait ainsi peu de chances d’être bien gouverné, alors que le prix du changement était une lourde charge.
Comme le nom l’indique, les tozama, ou seigneurs extérieurs, n’étaient pas dans la sphère de contrôle direct de Ieyasu à l’époque où il édifiait son pouvoir tel qu’il devait devenir après Sekigahara. Ils avaient été du parti de Hideyoshi, mais après la destruction de la famille Toyotomi, ils s’étaient retrouvés sans chef, et ils avaient dû accepter, parfois bien malgré eux, ladomination de la famille Tokugawa. C’étaient des ennemis potentiels, et il fallait les surveiller ; mais Ieyasu les traita avec générosité, leur donnant plus de terre qu’ils n’en avaient jamais pu espérer de Hideyoshi. Il réservapour lui-même et les vassaux fudai la majeure partie du Kantö (les huit provinces de l’Est) et l’ensemble du Kinai, où provinces centrales, avec Kyoto et Osaka. Pour la plupart, les tozama étaient traditionnellement forts dans les provinces de la périphérie, les principaux d’entre eux étant des barons comme les Date dans le Nord, les Nabeshima et les Shimazu au Kyüshü. Les daimyô fudai étaient essentiellement placés aux endroits où, si la chose était nécessaire, ils pouvaient entraver tout mouvement hostile tenté seul ou en groupe par les daimyô tozama.
Ayant pris ses dispositions stratégiques, le bakufu augmenta peu à peu sa pression sur les seigneurs extérieurs et acheva de les soumettre grâce aux mesures déjà décrites : le Buke sho-hatto et la règle de présence alternée, ou sankin kôtai. Cette règle, on s’en souvient, obligeait tous les daimyô à passer quatre mois par an en service à Edo, retournant entre-deux dans leurs fiefs mais laissant derrière eux leurs familles en otage. Elle s’appliquait aux fudai comme aux tozama, mais pour les premiers le fait de s’y soumettre était considéré comme une expression de loyauté, tandis que, pour les autres, il s’agissait d’un acte de soumission. L’habitude s’établit peu après 1615, mais, ainsi qu’on l’a vu, elle ne devint une obligation précise qu’à partir de 1635. C’était une charge accablante qui obligeait les daimyô à une double dépense ; il arrivait toutefois que des exceptions soient faites en cas de difficulté.
Le succès des méthodes employées par le bakufu pour imposer son autorité s’éclaire si l’on compare l’approche assez précautionneuse de Ieyasu immédiatement après Sekigahara à l’attitude qui ressort du discours prêté à Iemitsu aux tozama lors de son installation comme troisième shôgun en 1623. On dit qu’il prononça ces mots : « Mon aïeul et son fils vous considéraient comme des égaux, et vous avez des privilèges spéciaux. Mais maintenant, je suis shôgun par droit de succession, et c’est pourquoi vous serez traités comme des vassaux héréditaires [fudai]. Si cela ne vous plaît pas, retournez dans vos fiefs et réfléchissez. Puis, comme le veut la tradition, les armes décideront qui doit être le souverain du pays. » Ces propos sont peut-être apocryphes, mais ils s’accordent avec l’attitude ferme que le bakufu adopta à l’époque.
Le revenu total des daimyô au milieu du XVIIIe siècle est estimé à 19 millions de koku, ce
Weitere Kostenlose Bücher