Histoire du Japon
à 10000 koku reçurent l’ordre d’instituer un organe similaire. C’est alors que fut introduite l’épreuve consistant à piétiner la Croix (fumie). Afin de dépister la croyance religieuse des gens, tous les monastères et les temples furent enjoints de tenir un registre des personnes résidant dans leur paroisse, avec des détails concernant la naissance, la mort, le mariage, les voyages, les occupations, etc. Dans sa chasse aux chrétiens, le bakufu mobilisa ainsi comme agents de police les membres du clergé bouddhiste.
On notera que les documents de 1633-1639 disent clairement que le but des édits de fermeture était la suppression du christianisme au Japon. Du fait que l’enseignement des missionnaires était incompatible avec les principes féodaux sur lesquels se fondait le pouvoir du bakufu, la persécution des prêtres et de leurs convertis, quoique moralement mauvaise, pouvait se défendre du point de vue politique ; mais il n’était guère possible de soutenir qu’il fallait fermer complètement le pays pour le protéger de l’influence d’une religion étrangère.
Manifestement, il y a là certaines anomalies. Pour commencer, la politique de fermeture n’était pas rigoureuse puisqu’elle faisait des exceptions pour la Chine et la Hollande, en fait pour tous les pays qui n’envoyaient pas au Japon des missionnaires chrétiens. Soucieux d’accaparer le marché, les Hollandais avaient tout fait pour mettre en garde les Japonais contre les Portugais et les Espagnols, qu’ils accusaient de projeter de s’emparer de leur territoire ou en tout cas d’utiliser la force contre le Japon. Les marchands anglais n’auraient pas été exclus, mais ils avaient déjà quitté Hirado (leur centre d’activité) en 1623, avant les ordres d’exclusion. Ainsi, l’effet désiré eût pu être obtenu par le bakufu au moyen de l’interdiction d’entrée existant déjà contre les sujets portugais ou espagnols, qu’ils fussent marchands ou missionnaires.
Le droit d’entrée avait été refusé aux Espagnols après 1624. Et, comme on l’a signalé, tous les résidents étrangers reçurent en 1636 l’ordre de se rendre à Deshima, à l’extrémité de la baie de Nagasaki, où l’on avait préparé des logements à leur intention. Cet ordre ne toucha que de rares Portugais, qui furent expulsés du pays en 1638, après le soulèvement de Shimabara. De plus, à l’époque du troisième et dernier édit de fermeture, c’est-à-dire en 1639, le christianisme avait presque entièrement disparu, et l’on aurait pu empêcher l’entrée de nouveaux missionnaires par un contrôle systématique des ports. Mais il aurait fallu pour ça la collaboration des daimyô dans les domaines de qui étaient les ports, et nous trouvons ici une autre clé de la politique du bakufu.
Les daimyô tozama du Japon occidental et du Kyüshü tiraient profit du commerce extérieur, et s’ils continuaient à s’enrichir ainsi ils pouvaient devenir assez forts pour compromettre la toute-puissance du bakufu, et même assez hardis pour demander de l’aide aux Portugais ou aux Espagnols. La seule manière dé prévenir une telle rivalité était d’interdire tout commerce extérieur dans les autres ports que Nagasaki, placé sous la juridiction directe du bakufu. De cette façon, le bakufu s’assurait non seulement le contrôle du commerce extérieur, mais également une forme de monopole sur ses bénéfices ; et quelque autre résultat qu’on escomptât de la politique de fermeture, il est tout à fait clair que c’est exactement ce que visait le shôgun depuis l’époque de Ieyasu. En rétrospective, il devient évident que la politique des Tokugawa consistait à créer une dictature, un État autoritaire, exerçant un contrôle absolu sur tous les aspects de la vie nationale, dans le domaine économique aussi bien que social et moral.
La crainte du bakufu face à la propagande chrétienne était-elle authentique, ou s’agissait-il d’un prétexte pour justifier la politique de fermeture ? Du fait des morts et des apostasies, le nombre des chrétiens japonais, qui était probablement de l’ordre de 300000 avant les grandes persécutions, devait être tombé à moins de 100000 hommes et femmes pratiquant leur culte en cachette. Dans ces conditions, il est difficile de croire qu’un homme de la stature de Ieyasu ait été détourné de sa politique d’expansion par peur de l’influence d’une communauté
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