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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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le
poursuivaient :
    – Attendez !… attendez !… vos
enfants payeront pour vous… C’est avec leur chair et leur sang
qu’on rétablira des rois !… Vous pleurerez, misérables !
Vous redemanderez la liberté, l’égalité… Vous aurez des maîtres
comme il vous en faut, et vous penserez à Chauvel !…
    – Tais-toi, bête !… Tais-toi,
Marat !… lui criaient ces malheureuses.
    Il entra dans le corps de garde. Moi je
n’avais plus une goutte de sang. Il s’assit sur un banc et s’essuya
la joue avec un mouchoir, en demandant un peu d’eau, que les
soldats lui donnèrent dans le bidon.
    – Va tranquillement à la maison, Michel,
me dit-il. Tout ceci n’est rien ; nous en verrons bien
d’autres. Marguerite pourrait être inquiète. La mauvaise race
pourrait aussi casser nos vitres et piller la boutique. Maintenant
que c’est la mode et que tout est de bonne prise, fit-il en
souriant avec amertume, ce ne serait pas étonnant.
    J’allais partir, lorsque Marguerite, toute
pâle, arriva, l’enfant sur le bras. C’est la première fois que je
la vis sangloter, car elle avait beaucoup de courage. Le père
Chauvel s’attendrit aussi deux minutes.
    – Ce n’est pas nous, dit-il, qui sommes à
plaindre, ce sont ces malheureux, élevés dans l’admiration de la
violence.
    Ensuite il me donna l’enfant, il prit le bras
de sa fille, et nous partîmes ensemble, par la porte qui donnait
sur la halle. Un piquet de soldats nous entourait ; mais,
grâce à Dieu, la foule était déjà dissipée, elle n’était pas entrée
chez nous.
    Le seul ami que nous rencontrâmes à la maison,
ce fut le curé Christophe ; il avait eu l’idée, comme Chauvel,
qu’on viendrait nous piller, et se tenait là, sur la porte, avec sa
grosse trique. Lorsque nous arrivâmes, il étendit les bras en
s’écriant :
    – Chauvel, il faut que je vous
embrasse ; ce que vous avez dit est selon mon cœur ;
malheureusement j’étais dans l’autre allée, je n’ai pu vous
soutenir.
    – Cela vaut mieux, dit Chauvel ; à
la moindre résistance les gueux nous auraient assommés. Voilà
pourtant ceux qui m’ont nommé deux fois leur représentant, dit-il
ensuite d’un air de pitié. J’ai rempli mon devoir avec conscience.
Qu’ils en choisissent maintenant un autre, cela ne m’empêchera pas
de dire toujours ce que je pense sur ce Bonaparte, qui ne parle ni
de vertu, ni de liberté, ni d’égalité, dans ses proclamations, mais
de plaines fertiles, d’honneurs et de
richesses.
    Le père Chauvel était si maltraité, qu’il en
garda le lit plus de huit jours. Marguerite le soignait ; moi
j’allais le voir toutes les heures ; il ne finissait pas de
plaindre le peuple.
    – Les malheureux veulent pourtant la
république, disait-il ; seulement, comme les royalistes et les
gros bourgeois se sont rendus maîtres de tout, comme ils ont mis le
peuple hors de la constitution, la grande masse n’a plus de chefs,
elle met son espérance dans les armées. Le mois dernier, c’était
Jourdan qui devait tout sauver, après Jourdan, Hoche, après Hoche,
Moreau ; maintenant c’est Bonaparte !
    Alors il parlait de Bonaparte, simple général
de brigade, commandant l’artillerie à l’armée d’Italie en
1794 ; il racontait que cet homme petit, brun, sec, les
mâchoires avancées, les yeux clairs et le teint pâle, ne
ressemblait à personne ; que l’impatience d’être en sous-ordre
se voyait dans ses yeux ; qu’il n’obéissait aux représentants
du peuple qu’avec indignation, et n’avait qu’un seul ami,
Robespierre jeune, espérant bientôt se rapprocher de Robespierre
l’aîné. Mais qu’après la débâcle de thermidor, il s’était attaché
bien vite à Barras, le bourreau de son ami.
    – Je l’ai vu, disait-il, le 12
vendémiaire, à Paris, après la destitution de Menou, qui s’était
montré trop faible contre les bourgeois révoltés. Barras le fit
appeler aux Tuileries même, et lui proposa de se charger de
l’affaire en second. C’était dans une grande salle servant de
vestibule à la Convention. Bonaparte demanda vingt minutes de
réflexion ; il s’appuya le dos au mur, la tête penchée, les
cheveux pendant sur la figure, les mains croisées sur le dos. Je le
regardais au milieu de ce grand tumulte des représentants et des
étrangers, allant, venant, se parlant, se rapportant les
nouvelles ; il ne bougeait pas !… Et ce n’est pas à son
plan d’attaque qu’il

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