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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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les
redoutes et dans les boues de la Vendée, sans pain, sans souliers,
sans habits. Je trouve, moi, que le peuple est bien bête de donner
d’aussi beaux noms à des orgueilleux pareils, et puis de les adorer
comme des êtres extraordinaires. L’esprit de bassesse fait toute
cette admiration ; et d’appeler « vertueux » des
scélérats qui se débarrassent des plus grands citoyens, parce
qu’ils gênent leur ambition et leur despotisme, c’est trop
fort.
    Presque aussitôt après Robespierre
entra ; de tous les côtés, dans les balcons, on
disait :
    – C’est lui !… c’est le vertueux
Robespierre… l’incorruptible, etc., etc.
    Je regardai cet homme ; il traversait la
grande salle, et montait le petit escalier en face, un rouleau de
papier dans la main, des lunettes vertes sur le nez. Auprès des
autres représentants, presque tous en habit noir, vous auriez dit
un mirliflore : il était frisé, peigné ; il avait une
cravate blanche, un gilet blanc, un jabot, des manchettes ; on
voyait que cet homme se soignait et se regardait au miroir comme
une jeune fille. J’en étais étonné. Mais quand il se retourna et
s’assit en déroulant ses papiers, sans avoir l’air de rien
entendre, et que je le vis espionner en dessous et derrière ses
lunettes ceux de la salle, de tous les côtés, alors l’idée me vint
qu’il ressemblait aux renards, les plus fins et les plus propres
des animaux, qui se peignent, qui se lèchent et s’arrangent
jusqu’au bout des ongles. Je me dis en moi-même :
    « Toi, tu n’aurais jamais ma confiance,
quand tu serais encore mille fois plus vertueux. »
    Il était à peine assis, que le président
Tallien, un beau jeune homme, la figure ronde, cria :
    – Citoyens représentants, la séance est
ouverte !
    Je me souviens maintenant que tous ces gens
étaient pâles ; ils parlaient fort, ils criaient, ils disaient
de grands mots ; mais aussitôt après leurs joues pendaient,
tout devenait triste. Chacun pensait sans doute à ce qui s’était
passé la veille, et peut-être encore plus à ce qui pourrait se
passer le lendemain.
    Une chose qui les mit tous en fureur, ce fut
de voir arriver au commencement de la séance un pétitionnaire, un
boucher ou peut-être un marchand de bétail, trapu, carré, que les
serviteurs officieux firent avancer jusqu’auprès des bancs, et qui
déclara qu’il venait offrir à la nation quinze cents livres, pour
entretenir et bien graisser la guillotine. Il voulait encore
parler, mais on ne le laissa pas finir ; tous
criaient :
    – Videz la barre ! Videz la
barre !
    Et les serviteurs officieux le mirent
dehors.
    Pendant ce spectacle, Robespierre avait l’air
d’écrire et de ne rien entendre ; mais comme le pétitionnaire
s’en allait, il cria de sa place :
    – Le Comité de surveillance aura l’œil
sur cet homme, il importe d’examiner sa conduite.
    C’est tout ce qu’il dit jusqu’au soir. Sa voix
était claire ; on l’entendait par-dessus tous les cris et les
bourdonnements de la salle.
    Aussitôt après, plus de vingt jeunes gens, des
enfants de quinze à seize ans, arrivèrent en uniforme ;
c’étaient les élèves de l’école de musique. Ils s’avancèrent sans
gêne, et le plus grand d’entre eux se mit à lire une pétition, pour
faire empoigner, juger et guillotiner leurs professeurs, menaçant
que si la Convention ne leur accordait pas la liberté de faire ce
qu’ils voudraient après les classes, tous quitteraient leur
école.
    L’indignation recommença contre ces mauvais
sujets. Le président Tallien leur dit avec force qu’ils étaient
indignes d’être les élèves de la patrie, étant beaucoup trop bornés
pour comprendre les devoirs de républicains ; et puis il leur
ordonna de sortir.
    Cela causa d’abord une dispute entre deux
représentants : l’un demandait de faire inscrire au bulletin
les paroles insolentes de ces polissons, l’autre disait que ces
jeunes citoyens étaient encore des enfants, incapables d’écrire une
pétition semblable, et qu’il fallait seulement rechercher les
auteurs du scandale.
    On adopta ce qu’il demandait.
    Ensuite on lut les propositions du Comité des
finances et celles du Comité de la guerre ; la Convention, sur
ces propositions, rendit deux décrets, l’un pour fixer le prix des
transports par eau sur la Saône et le Rhône, en changeant le tarif
des messageries de 1790 ; l’autre pour embrigader et compléter
les bataillons

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