Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte
dans la
république, celles d’avant et celles d’après 89, chose contraire au
bon sens. En outre, il fallait régler les droits de péage et de
douanes, l’établissement de nouveaux ponts entre les deux Brisach,
et tout cela traînait tellement en longueur, qu’on n’en voyait pas
la fin.
Comme ces affaires se réglaient à quelques
lieues de chez nous, et que l’abolition des anciens droits de
péage, la libre navigation du fleuve, le partage des eaux et des
îles devaient profiter à notre commerce, toute l’Alsace et la
Lorraine y prenaient part ; Bonaparte n’avait pas voulu s’en
occuper ; c’étaient de trop petites affaires pour un si grand
génie : sa vue s’étendait alors aux Indes !… Metternich,
un des plus grands finauds de l’Allemagne, tenait tête à nos
plénipotentiaires.
Le congrès se prolongea toute cette
année ; à chaque instant le bruit courait que les conférences
étaient rompues. Cette fameuse paix de Campo-Formio, la gloire du
général Bonaparte, ne valait pas la belle armée, la belle flotte et
la masse de généraux qu’il avait emmenés.
Qu’est-ce qu’une paix, sans forces pour la
soutenir ? Aussi le Directoire n’avait pas l’air de s’y fier
beaucoup ; le rétablissement de l’impôt sur le sel, la
création de contributions sur les portes et fenêtres,
l’autorisation qu’il venait d’obtenir des conseils, de vendre
encore pour cent vingt-cinq millions de biens nationaux, le décret
que les conseils avaient rendu sur le rapport de Jourdan, qu’on
recruterait à l’avenir nos armées par la conscription forcée des
citoyens de vingt à vingt-cinq ans, tout montrait qu’il fallait des
hommes et de l’argent bien vite. Ce n’est pas en se conduisant avec
bassesse qu’on peut compter sur l’enthousiasme de la nation ;
le Directoire le savait bien ; le temps des volontaires et des
sacrifices patriotiques était passé. Quand le peuple n’est rien
dans la constitution, il faut le conduire se battre, la corde au
cou ; la patrie, c’est alors l’homme qui remporte des
victoires et vous fait des pensions.
De jour en jour, et de semaine en semaine,
trente mille familles attendaient des nouvelles d’Égypte. On
commençait à croire que tout était englouti, quand, le 19 septembre
1798, quatre mois après le départ de l’expédition, on lut dans le
Moniteur
que le général Bonaparte, après avoir débarqué le
23 messidor à Alexandrie, avait fait un traité d’amitié avec les
chefs arabes, qu’il avait dirigé ses colonnes vers le Caire, où il
était entré le 5 thermidor, à la tête de l’armée, et qu’enfin,
maître de toute la basse Égypte, il continuait sa marche ; que
l’escadre de l’amiral Brueys, mouillée sur la côte d’Aboukir, se
disposait à retourner en France, lorsqu’une escadre anglaise,
supérieure à la nôtre par le nombre et le rang de ses vaisseaux,
l’avait attaquée ; que de part et d’autre le combat s’était
soutenu avec une opiniâtreté sans exemple dans l’histoire ;
que pendant l’action le vaisseau amiral avait sauté ; que deux
ou trois autres avaient coulé ; que d’autres tant anglais que
français avaient échoué sur la côte, et qu’enfin d’autres vaisseaux
français étaient restés totalement désemparés sur le champ de
bataille. »
Je n’ai pas besoin de vous peindre la figure
des gens en lisant cet article.
– Tout cela, dit Chauvel, signifie que
nous n’avons plus de flotte, que notre meilleure armée est à six
cents lieues d’ici, dans les sables au milieu des Arabes et des
Turcs, sans aucun moyen de revenir en France, ni de recevoir des
secours, et que les Anglais, les Italiens et les Allemands vont
tirer profit de l’occasion, pour nous accabler ensemble. Pendant la
Constituante, la Législative et la Convention, nous n’avons vu que
la première coalition ; nous allons voir la seconde :
nous allons jouir des bienfaits du citoyen Bonaparte.
Peu de temps après cette terrible nouvelle, on
sut que le fameux Nelson, en revenant d’Aboukir avec sa flotte,
avait été reçu par le roi de Naples à bras ouverts ; qu’il
avait réparé ses vaisseaux dans le port et passé son temps au
milieu des fêtes et des triomphes.
Bientôt on apprit que les Russes traversaient
la Pologne, et que le roi de Naples attaquait la république
romaine ; que le Piémont et la Toscane se mettaient en
insurrection. Championnet qui commandait à Rome, partit à la
rencontre
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