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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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femmes qu’on avait vues si fraîches, si
blanches, revenaient, un mouchoir sur la figure, toutes honteuses
et désolées. On ne les reconnaissait plus qu’à la voix :
    – Ah ! mon Dieu ! c’est
Catherine… c’est la belle Louise… c’est Jacob, de tel endroit… Mon
Dieu ! est-ce possible ?
    Combien de ces désolations j’ai vues dans
notre boutique ! les promesses de mariage tenaient bien peu,
croyez-moi.
    Mais le plus terrible c’étaient les enfants.
On parlait bien de l’inoculation ; on disait, quand la petite
vérole arrivait dans un endroit :
    « Il faut aller là, coucher votre enfant
avec le malade… ce ne sera pas aussi fort… Et puis il vaut mieux
les perdre jeunes !… la peau des enfants est aussi plus
tendre, ils ont plus de chance d’en réchapper ! »
    On m’avait dit cela cent fois pour le moins.
C’était juste, plein de bon sens. Mais représentez-vous un pauvre
père qui s’en va là, son enfant sur le bras ; représentez-vous
comme ce petit être lui tient dans les mains ; comme il le
serre, comme il crie en lui-même :
    « Non !… pas encore !… Plus
tard… il sera temps ! »
    Et comme il revient, en disant aux anciens qui
l’attendent tout tremblants :
    « Ma foi ! grand-père ou grand-mère,
je n’ai pas eu le courage. Allez-y vous-même. »
    Et les vieux qui pensent :
    « Il a bien fait… nous aimons mieux
attendre ! »
    Et l’on attendait. Et tout à coup la petite
vérole était en ville ; les vôtres ou ceux du voisin
l’avaient… C’est ce que je me rappelle de plus abominable de ce
temps, après la famine. Les trois quarts des gens, surtout à la
campagne, où l’on s’expose au froid, restaient défigurés.
    Deux ou trois fois Chauvel m’avait prévenu de
faire inoculer la petite Annette, mais je n’avais pas voulu, ni
Marguerite non plus.
    Quant au petit Jean-Pierre, je me disais
bien :
     « Il ne faut pas tenir à la beauté
des hommes… Allons à Saint-Jean, à Henridorf, la petite vérole y
est ; elle est bénigne… »
    Mais, au moment de partir, le cœur me manquait
toujours.
    Enfin, avec la quantité d’autres inquiétudes,
avec les lois sur l’enlèvement de nos droits, et les craintes de
voir revenir la guerre, je vous en réponds, la petite vérole était
de trop.
    L’inoculation ne donnait confiance qu’à ceux
qui n’avaient pas beaucoup de cœur. Nos enfants avaient déjà trois
et quatre ans, que, pour mon compte, j’aimais encore mieux attendre
à la grâce de Dieu, et toutes les raisons de Chauvel ne me
paraissaient pas bonnes.
    Dans ce temps donc, comme je viens de vous le
dire, le docteur Schwân arriva de Paris. Je vivrais deux cents ans,
que je l’entendrais toujours nous parler de la nouvelle découverte,
le
cow-pox,
venue d’Angleterre, contre la petite vérole,
et nous expliquer que c’était une sorte d’humeur du pis des
vaches ; que cette humeur, étant inoculée aux enfants par une
simple piqûre, les préservait de la maladie ; qu’un médecin
anglais, Jenner, avait fait cette découverte et l’avait essayée
depuis quinze ans sur des quantités de personnes ; qu’il avait
toujours parfaitement réussi ; et que généralement tous ceux
qui vivent autour des vaches, les femmes qui traient ces animaux,
celles qui les soignent et gagnent des boutons aux mains, sont
absolument préservés de la petite vérole.
    Le grand désir de croire ce qu’il nous
racontait me gonflait le cœur. Je regardais les enfants et je
m’écriais en moi-même :
    « Ah ! si c’était vrai !…
ah ! si c’était possible !… Vous resteriez toujours comme
vous êtes, mes pauvres petits enfants, avec vos joues roses, vos
yeux bleus et vos bonnes lèvres, sans aucune marque. »
    Marguerite me regardait, et je voyais qu’elle
pensait les mêmes choses que moi.
    Chauvel voulait tout savoir dans les moindres
détails. Schwân, naturellement causeur, comme tous les vieux
savants, aimait à s’étendre sur la découverte ; il avait lu
toutes les expériences faites jusqu’alors, les attestations, les
certificats ; enfin il croyait la chose sûre, et tout à coup
Chauvel s’écria :
    – Mais je connais cette maladie du
bétail, elle n’est pas dangereuse. Je l’ai vue bien des fois dans
les fermes des Vosges, au fond des étables humides, le long des
rivières : ce sont de gros boutons blancs.
    – Oui, dit Schwân, qui se mit à faire la
description des boutons, si bien que Chauvel

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