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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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s’écriait :
    – C’est ça, c’est bien ça ! l’humeur
est transparente comme de l’eau. Ma foi ! si je n’avais pas eu
la petite vérole, d’après tout ce que tu me racontes, Schwân,
toutes ces expériences et ces preuves, je n’attendrais pas pour me
faire inoculer le
cow-pox.
    – Ni moi, dit Marguerite.
    Je dis aussi que j’étais plein de
confiance ; mais nous avions tous eu la petite vérole dans la
famille : j’en étais moi-même assez marqué ; Marguerite
en avait seulement quelques signes ; Chauvel et Schwân en
étaient criblés.
    Nous pensions tous aux enfants, et personne
n’osait entamer ce chapitre, lorsque Schwân commença, et dit qu’il
avait trois petits-enfants de sa fille, et qu’aussitôt à Strasbourg
il allait les vacciner lui-même, car ce
cow-pox
n’était
que la vaccine.
    – Si tu m’en donnes ta parole de
patriote, s’écria Chauvel, je vaccine aussi les nôtres, et puis je
vaccine tous ceux que je rencontre.
    Schwân jura qu’il le ferait, et qu’il
répondait de tout ; mais il fallait d’abord trouver du vaccin.
Le docteur, en repartant vers cinq heures, par le courrier, nous
promit de s’en occuper et de nous donner avis des résultats.
    C’est après son départ que l’inquiétude, la
crainte et le désir de recevoir bientôt de ses nouvelles nous
tourmentèrent. Nous en parlions tous les soirs, mais durant cinq ou
six semaines, n’ayant pas reçu de lui le moindre billet, nous
croyions l’affaire manquée. Chauvel disait que Schwân avait sans
doute reconnu que le
cow-pox
ne signifiait rien ;
j’en étais presque content, car, dans des occasions pareilles, on
aime mieux voir les autres commencer, que d’exposer les siens.
    En ce mois de février 1799, la petite vérole
se déclara chez nous d’une façon épouvantable ; on n’entendait
plus que les cloches aux environs de la ville ; cela gagnait,
gagnait… de Véchem à Mittelbronn, de Mittelbronn à Lixheim. Un
matin, Jean Bonhomme, le mari de Christine Létumier, mon ancienne
commère, arriva dans notre boutique sans chapeau, sans cravate, à
moitié mort de chagrin ; il pleurait et criait :
    – Ma femme et mes enfants sont
perdus !
    Bonhomme avait deux petits garçons, jolis,
riants, et qui jouaient avec nos enfants pendant les marchés. Cette
bonne Christine conservait encore pour moi de l’amitié ; elle
se rappelait toujours les bonnes valses que nous avions faites à
Lutzelbourg ; la petite forge où chaque matin, les bras nus,
elle venait prendre de l’eau à la pompe, en me disant avec
douceur : « Bonjour, monsieur Michel. » Et puis son
mariage, où j’avais été garçon d’honneur, avec Marguerite. Nos
enfants s’aimaient ; son aîné, le petit Jean, tout rond et
tout joufflu, les cheveux frisés comme un petit mouton, embrassait
ma petite Annette et roulait de gros yeux bleus en
disant :
    – C’est ma femme, je n’en veux pas
d’autre.
    Ce qui nous faisait bien rire.
    Figurez-vous d’après cela notre chagrin ;
ces gens étaient presque de la famille, ils étaient nos plus vieux
amis et nos premières pratiques. J’essayais de rendre courage à ce
pauvre Bonhomme, en lui disant que tout se remettrait, qu’on ne
doit jamais désespérer ; mais il perdait la tête, et me
répondait :
    – Ah ! Michel ! Michel !
si tu les voyais !… Ils sont comme rôtis à la broche, on ne
reconnaît plus leur figure, et Christine, qui les soigne, vient de
se coucher aussi. Mon Dieu ! mon Dieu ! je voudrais être
mort avec eux tous.
    Il courut chez l’apothicaire Tribolin et
repartit aussitôt. Deux jours après, nous sûmes que les enfants
étaient morts, et que leur mère avait l’épouvantable maladie dans
toute sa force.
    Le père Létumier vint en ville après
l’enterrement ; il était comme fou ; et cet homme sobre
entra boire du vin blanc à l’auberge du
Cheval brun.
Nous
l’entendions crier d’une voix terrible :
    – Il n’y a pas d’Être suprême !… Il
n’y a rien… rien ! Les scélérats gardent leurs enfants et nous
perdons les nôtres.
    Il vint chez nous et tomba dans les bras de
Chauvel en gémissant. Voilà ce que faisait cette maladie, dont
personne n’était exempt ; il fallait s’y attendre jusqu’à cent
ans, quand par hasard on ne l’avait pas encore eue.
    Et maintenant songez à notre désolation de ne
plus entendre parler du
cow-pox ;
elle était d’autant
plus grande, que la petite vérole s’approchait

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