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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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Égypte,
victoire ! Vive Bonaparte l’invincible ! »
    » Si nous éprouvons quelque échec, comme
c’est probable, n’ayant plus guère de vieilles troupes, Bonaparte,
sur sa flotte, viendra sauver la république, et les flagorneurs
crieront : « Victoire ! victoire ! Vive
Bonaparte l’invincible ! » Les envieux se tairont, ce
sont des lâches ! et Bonaparte vainqueur leur fermera la
bouche tout de suite, car il sera le maître. Il aura chez nous le
poivre, la cannelle, les diamants, les mines d’or, et ne
s’inquiétera plus des Indes, je vous en réponds !
    Toubac ouvrait de grands yeux et
bégayait :
    – Ah ! je comprends !
    Et qu’on ne se figure pas que Chauvel seul
avait la clairvoyance de ces choses ; des milliers d’autres
voyaient aussi clair que lui ; tous les vieux jacobins
disaient :
    – Bonaparte est un ambitieux… il ne pense
qu’à lui… nous sommes volés !
    Mais de voir ce qui se passe, et de se mettre
en travers du courant, cela fait une grande différence ; on a
des intérêts, on veut se marier, on est père de famille ; on
se rappelle les bassesses et les trahisons de tous les partis, et
l’on s’écrie :
    « Bah ! qu’est-ce que cela me
fait ? s’il est le plus fort, le plus rusé ; si le
peuple, le Directoire, les conseils, les généraux se mettent à plat
ventre devant lui, à quoi me sert de rester debout ? On
m’écrasera, et pour qui ? Pour des égoïstes, des lâches, qui
diront : « C’était un fou » et qui profiteront sans
honte de mes dépouilles. Moi mort, mes enfants traîneront la
misère ; il faut se soumettre. Ceux qui se sacrifient pour la
justice et les droits de l’homme sont des bêtes ; on ne leur
en a point de reconnaissance. »
    Plusieurs ajoutent :
    « Mettons-nous avec les flagorneurs, nous
aurons des places, des honneurs, des pensions, et nos descendants
vivront grassement aux dépens de ceux qui sont trop fiers pour se
traîner sur les genoux. »
    Mais continuons, car tout cela n’est pas gai,
quand on y pense.
    Après le départ de Bonaparte, durant quelques
jours il ne fut question que des affaires du pays, de l’occupation
du Haut-Valais par nos troupes, de la nomination de Bernadotte
comme ambassadeur en Batavie ; mais tout le monde pensait à la
flotte, aux dangers de la mer, à la poursuite des Anglais, qui ne
pouvaient manquer de nous livrer bataille. Aucune nouvelle
n’arrivait. Ce grand silence, en songeant à tant de mille hommes et
de bons citoyens hasardés dans une pareille entreprise, vous
serrait le cœur. On parlait des recherches de nos commissaires à
Zurich, pour découvrir de nouveaux trésors ; de la sortie des
ports de Crimée d’une flotte russe de douze vaisseaux et de
quatorze frégates, pour attaquer la nôtre en route ; du blocus
par les Anglais de la rade de Flessingue ; de l’arrestation du
citoyen Flick, rédacteur de la
Gazette du Haut-Rhin,
par
ordre de Schawembourg, général en chef de notre armée en Suisse, et
d’autres choses pareilles, sans grande importance après tous les
mouvements, toutes les agitations qui nous tourmentaient depuis si
longtemps.
    Et de la flotte rien, toujours rien !
    Rapinat seul faisait alors autant de bruit et
tenait autant de place dans les gazettes que Bonaparte ; il
n’avait jamais assez d’argent, et les Suisses criaient comme une
poule en train de pondre ; mais l’idée de la flotte dont
personne n’apprenait rien, vous rendait inquiet. Enfin, le 8
juillet, six semaines après le départ de Toulon, on apprit que
notre expédition s’était rendue maîtresse de Malte, et que cela ne
nous avait coûté que trois hommes ; que le ministre russe,
avec quatre-vingts commandants de Malte, avait reçu l’ordre
d’évacuer l’île sous trois jours, ce qui nous fit penser que nous
pourrions bien avoir bientôt les Russes sur le dos, avec les
Autrichiens et les Anglais.
    Les conférences de Rastadt continuaient
toujours. On nous avait cédé la rive gauche du Rhin et livré
Mayence en échange de Venise, mais nos plénipotentiaires
demandaient encore Kehl et Cassel sur la rive droite ; ils
demandaient aussi la démolition d’Erenbreitstein, que nos troupes
continuaient de bloquer pendant les conférences.
    Les Allemands, de leur côté, ne voulaient pas
consentir à l’abolition des biens nobles et des biens
ecclésiastiques sur la rive gauche, que l’Autriche nous avait déjà
cédée ; nous aurions eu deux espèces de lois

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