Histoire Romaine
temps, elles revêtirent même en chaque
pays un caractère tranché et exclusif, que nous aurons lieu de constater plus
amplement [21] .
Dans les choses de la religion, il en a été de même. Les
croyances populaires de l’Italie et de la Grèce reposent sur un fond commun de
notions puisées dans l’ordre physique, et transformées en allégories et en
symboles : aussi l’analogie est-elle grande entre les Panthéons grec et
romain ; et l’on sait quel rôle immense a joué plus tard chez les deux
peuples le monde des dieux et des esprits. Ce n’est point le pur hasard qui
produit de telles ressemblances, qui crée ces figures divines si souvent
pareilles, Jupiter ( Zeus , Diovis ), Vesta ( Hestia , Vesta ) ; qui apporte la notion commune de l’espace sacré ( templum , τέμενος ), des sacrifices et des
cérémonies appartenant aux deux cultes. Et pourtant, chacune de ces religions
se fit nationale et exclusivement grecque ou italienne : plus tard même, toute
trace de cet ancien patrimoine commun y devint à peu près méconnaissable, et il
fut, du moins, ou ignoré ou compris à rebours. Quoi d’étonnant à cela ? De
même que chez les deux peuples les contrastes principaux de leur génie, masqués
d’abord sous l’écorce primitive de la civilisation helléno-italique, vont se
séparant et s’approfondissant chaque jour davantage, de même, dans l’ordre
religieux, les idées et les images perdues en un tout confus dans l’âme humaine,
se dégagent peu à peu et apparaissent au jour. Quand ils voyaient, les nuages
cassés dans le ciel, les paysans incultes s’écriaient que la chienne céleste
poussait, devant elle les vaches effrayées des troupeaux d’en haut . Le Grec
oublia bientôt que ce nom donné aux nuages n’était qu’une naïve métaphore, et
du fils de leur gardienne, chargé comme elle d’une mission toute spéciale, il
fit le messager des dieux, apte à tout faire, et toujours agile . Quand
le tonnerre retentissait sur les montagnes, il croyait voir Jupiter ( Zeus )
assis sur l’Olympe, et lançant la foudre : quand le ciel redevenu bleu lui
souriait de nouveau, il lui semblait se mirer dans les yeux brillants d’ Athénée,
fille de Zeus . Mais les créations de son esprit étaient si vives qu’il ne
vit plus bientôt en elles que des figures humaines revêtues de tout l’éclat et
de toute la puissance des forces naturelles ; et sans la libre richesse de
sa fantaisie il les façonna encore, et les dota de tous les attributs
compatibles avec les lois de la beauté. Le sens religieux chez les Italiotes ne
fut pas moindre, mais il suivit une autre direction : attaché fortement à
l’Idée, il ne la laissa pas s’obscurcir sous la forme extérieure. Le Grec, quand
il sacrifie, a les yeux tournés au ciel ; le Romain, lui, se voile la tête ;
l’un contemple quand il prie ; l’autre pense. Au milieu de la nature, le
Romain voit toujours l’universel et l’immatériel. Toute chose physique, l’homme
et l’arbre, l’État et le magasin domestique ont, pour lui leur génie qui naît
et périt avec eux [22] :
toute la nature physique enfin se répercute et revit dans les esprits qu’il
imagine ; il a un Génie viril pour l’homme, une Junon, pour la
femme, un dieu Terme pour la limite des champs, un Sylvain pour
la forêt, un Vertumne pour l’année et ses saisons changeantes ; et ainsi
de suite. Il a des divinités même pour les fonctions et les actes spéciaux :
le cultivateur invoque le dieu de la jachère, celui du labour, des sillons, des
semailles ; il en invoque d’autres encore quand il recouvre les semences, quand
il herse ; et plus tard encore quand il enlève la moisson, quand il
engrange, il quand il ouvre ses greniers [23] .
Enfin le mariage, la naissance et, tous les autres événements de la vie ont
dans son rituel une consécration pareille. Plus l’abstraction s’étend loin, plus
aussi s’élève le dieu, et plus s’accroît la crainte qu’il inspire : Jupiter
et Junon deviennent l’idéal de l’homme et de la femme ; la Dea Dia ou Cérès représente, la force productive, Minerve la puissance de
la mémoire ; et la bona Dea ou Dea supra des Samnites est la
bonne déesse. Chez les Grecs tout est concret tout prend un corps ; chez
les Romains l’abstraction et ses formules parlent seules à l’esprit les
premiers rejettent en grande partie les légendes des anciens temps, parce qu’elles
sont trop simples, et
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