Hitler m'a dit
qu’une constitution définitive, acceptée et soutenue par la Reichswehr.
En face de cette suggestion pressante des militaires, en automne et à l’hiver, on revit en 1934 tout ce qu’on avait déjà vu deux ans auparavant : la bassesse et la lâcheté des fonctionnaires nationaux-socialistes cherchant précipitamment couvertures et abris, tandis que le petit cercle des collaborateurs immédiats multipliait ses protestations de fidélité et de loyalisme. On entrait dans une période difficile. Il ne fallait pas laisser tomber Hitler. Mieux valait repartir avec lui de zéro, recommencer petit à petit tout le travail. Mais, au même instant les séides les plus fidèles s’inquiétaient de la léthargie et de la mollesse apparente d’Hitler, mettaient en doute son étoile et sa grandeur. Était-il l’oint du Seigneur, le Libérateur prédestiné de l’Allemagne, cet homme qui se lamentait sur l’ingratitude du peuple, ce tribun débile qui tour à tour gémissait, boudait, adjurait, suppliait, menaçait de se retirer « si le peuple allemand ne voulait plus de lui », – au lieu d’agir ?
Chez nous, à Dantzig, comme dans toute l’Allemagne du Nord, Grégor Strasser était beaucoup plus populaire qu’Hitler lui-même. Le tempérament d’Hitler était incompréhensible et inaccessible aux Allemands du Nord. Au contraire, Strasser, le large et massif Bavarois, gros mangeur, gros buveur, un peu bohème mais plein de bon sens pratique, terre à terre, prompt à saisir les réalités, parlant sans phrases, jugeant toutes choses avec les yeux sains du paysan, avait été immédiatement compris chez nous.
J’avais pris part à la dernière réunion des Führer, avant la prise du pouvoir. C’était à Weimar, à l’automne de 1932. Grégor Strasser avait pris dans cette réunion la première place. Hitler, au même moment, était resté enfermé à Obersalzberg, dans une sorte de retraite pessimiste et grognonne. On arrivait, semblait-il, à l’heure critique. Strasser attendait l’ennemi de pied ferme. Avec calme et certitude, il avait su dissiper le sentiment que le parti se trouvait en pleine dissolution. C’était lui qui tenait la barre. Pratiquement, Hitler avait abdiqué.
Les circonstances l’avaient alors servi, il s’était repris. Mais au bout de deux ans nous en étions au même point. La seule différence était qu’Hitler avait maintenant deux adversaires. D’un côté Roehm, avec ses conjurés extrémistes. De l’autre, encore à l’arrière-plan, Strasser, le rival abhorré, frappé de disgrâce, mais attendant son heure.
Hitler savait que s’il se décidait en faveur de Roehm, la Reichswehr accueillerait Strasser et dissoudrait le parti. Strasser, l’homme qui avait parlé de la passion anticapitaliste du peuple allemand, reviendrait au pouvoir. Il établirait l’ordre nouveau en Allemagne, avec l’appui des milieux conservateurs et libéraux, mais en fournissant le trait d’union avec les milieux ouvriers et socialistes. Les rôles étaient renversés. Lui, Hitler, l’homme de l’industrie lourde, redeviendrait un agitateur de brasserie, un trublion de la révolution prolétarienne. Strasser, l’homme de l’anticapitalisme, deviendrait le collaborateur des généraux !
Hitler se décida. La décision lui fut dictée par la haine et l’envie. Et ce fut le coup de tonnerre du 30 juin. Il n’atteignit pas seulement les révoltés de gauche. Il foudroya du même coup le général von Schleicher. Il foudroya Grégor Strasser.
XXVIII
CADAVRES À GAUCHE
ET À DROITE
Il se peut que la tragédie sanglante du 30 juin n’ait fait que prévenir un plus sanglant massacre. Il existait d’ailleurs un plan diabolique pour assassiner Hitler en attribuant à la « bourgeoisie » la responsabilité de sa mort. C’eût alors été, comme on dit en Allemagne, le signal d’une véritable « nuit des longs couteaux ».
Que Roehm lui-même ait véritablement comploté de renverser Hitler ou qu’il ait simplement joué, sans conviction, avec l’idée d’une deuxième révolution, c’est chose qui importe peu maintenant. Ce qui est plus intéressant, c’est de voir renaître la tragédie de Wallenstein, transposée dans un milieu de gangsters allemands. Un voile de vraie tragédie plane en effet, sur la nuit trouble du 30 juin, où plus de mille membres du parti furent passés par les armes, sans jugement, et où d’autres victimes complètement innocentes furent
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